I. Définition
La syntaxe est l’ensemble des règles qui organisent la phrase et les unités constitutives de la phrase (propositions, groupes ou syntagmes). Les vers imprimant une rythmique particulière à l’énoncé, il est possible d’observer des phénomènes de concordance ou de discordance entre la syntaxe et le vers. Les phénomènes de discordance sont généralement pertinents, dans la mesure où ils entraînent nécessairement une mise en relief. Les phénomènes de concordance traduisent plutôt une volonté d’équilibre, de la part du poète.
II. Concordance métrique et enjambement.
La poésie classique proscrit les phénomènes de discordance, le vers a pour fonction de conférer
régularité et harmonie rythmique au propos. Le vers de Vigny, par exemple, s’avère plus souvent classique, dans sa forme, que romantique :
régularité et harmonie rythmique au propos. Le vers de Vigny, par exemple, s’avère plus souvent classique, dans sa forme, que romantique :
La nature t’attend dans un silence austère ;
L’herbe élève à tes pieds son nuage des soirs,
Et le soupir d’adieu du soleil à la terre
Balance les beaux lys comme des encensoirs.
Vigny, « La maison du berger », Les Destinées.
Les deux premiers vers font coïncider le vers et la proposition, l’accent vient se placer sur la dernière syllabe d’un ensemble syntaxique cohérent. Pour prendre l’exemple du premier vers les deux accents obligatoires se portent sur le [ã] de « t’attend » entraînant la césure à l’hémistiche et isolant le groupe sujet verbe ; le second se porte sur la syllabe [εR] de l’adjectif « austère », à la fin du vers donc, et d’un syntagme circonstanciel. Les propositions épousant parfaitement le cadre du vers, il y a concordance métrique.
Les deux derniers vers offrent un exemple d’enjambement, puisque la proposition s’étend sur deux vers : le premier vers développe le syntagme nominal sujet, le second, le syntagme verbal ainsi qu’un syntagme circonstanciel associé.
On parlera d’enjambement lorsque la proposition (ou la phrase) dépasse le cadre du vers pour s’étendre jusqu’à l’hémistiche suivant - elle peut aussi embrasser plusieurs vers.
L’enjambement n’est pas nécessairement discordant : on considérera que le vers est en harmonie avec la phrase s’il fait tomber l’accent sur la dernière syllabe d’un élément syntaxique autonome :
Pour avoir appelé les choses par leur nom,
Un pauvre philosophe errait de ville en ville,
Emportant avec lui tous ses biens, sa raison.
Florian, « Le philosophe et le chat-huant », Fables.
Dans cette fable de Florian (seuls les accents obligatoires ont été placés), l’accent qui intervient à l’hémistiche ou sur la fin du vers correspond invariablement à la fin d’une unité syntaxique. Florian s’inscrit parfaitement dans l’idéal classique qui prescrit l’harmonie rythmique.
Des vers tels que ceux de Jean Moréas, ci-dessous, eussent été impensables dans la période préromantique.
Parmi les marronniers, parmi les
Lilas blancs, les lilas violets,
La ville de houblon s’enguirlande,
Jean Moréas, « Parmi les marronniers », Les Syrtes.
La scission du syntagme nominal « les / Lilas blancs » défie toute logique syntaxique, toute habitude phonétique, l’effet obtenu s’avère néanmoins intéressant, la cassure ainsi opérée sur la syntaxe anticipe sur le motif du zigzag qu’introduit le verbe « enguirlander » et place l’expression « lilas blanc » dans une intrigante situation de rejet.
III. Rejets et contre-rejets
Le rejet et le contre rejet sont des phénomènes de discordance volontaires entre la syntaxe et la disposition métrique.
Ils sont utilisés à la période classique dans les fables ou dans les comédies, lorsqu’il s’agit d’attirer l’attention sur un mot.
On parle de rejet lorsqu’un bref segment final d’un groupe grammatical ou d’une proposition est déporté au vers suivant :
Le printemps maladif a chassé tristement
L’hiver, saison de l’art serein, l’hiver lucide,
Mallarmé, « Renouveau », Poésies.
C’est ici, le complément d’objet du verbe « a chassé » qui se trouve en situation de rejet. Le rejet s’avère ici particulièrement judicieux puisqu’il met en œuvre l’idée exprimée par le verbe chasser.
Le contre-rejet est le phénomène inverse. Le segment initial d’un groupe grammatical est placé en fin de vers, la suite du groupe en question se déployant sur le vers suivant :
Souvenir, souvenir, que me veux-tu ? L’automne
Faisait voler la grive à travers l’air atone,
Verlaine, « Nevermore », Poèmes saturniens.
Le sujet du verbe « faisait » (L’automne) est donc placé en suspens. Là aussi le contre-rejet s’avère performant : il attire l’attention sur un mot clé du poème et il génère un mouvement d'atermoiement qui signale l’hésitation précédant l’émergence du souvenir.
Rejets et contre-rejets créent une discordance que les romantiques et surtout les symbolistes ont su utiliser de manière frappante.
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