Au XVIIIe siècle, alors que les salons prennent de plus en plus d’importance dans la vie sociale et intellectuelle, le proverbe dramatique se développe et devient à la mode : le chansonnier, Charles Collé (1709-1783), puis Carmontelle (1717-1806) vont faire de ce qui n'était qu'un jeu un véritable genre littéraire. Carmontelle est "ordonnateur" (chargé de l'organisation) des fêtes, à la cour du duc d'Orléans - il est aussi accessoirement l'ami du grand-père de Musset. Il publiera huit volumes comportant plus de cent "proverbes". "Carmontelle, écrit Alain Beretta (1), définit le proverbe comme « une espèce de comédie, que l’on fait en inventant un sujet ou en se servant de quelques traits, de quelque historiette », avec la particularité que « le mot du proverbe doit être enveloppé dans l’action, de manière que si les spectateurs ne le devinent pas, il faut, lorsqu’on le leur dit, qu’ils s’écrient : “Ah ! c’est vrai”, comme lorsqu’on dit le mot d’une énigme que l’on n’a pu trouver » (préface au tome I des Proverbes dramatiques, 1768)"
Le genre se voit délaissé pendant la Révolution et l'Empire mais il réapparaît sous la Restauration. Madame de Genlis propose une nouvelle publication en trois volumes des Proverbes de Carmontelle et ses œuvres sont jouées sur les scènes des théâtres de boulevard. De nouveaux auteurs (Sauvage, Romieu, Scribe) se font connaître. Mais c'est surtout Théodore Leclerc qui rencontre un véritable succès en donnant à ses proverbes une portée politique, il s'en prend au clergé et aux "ultras" (partisans de la royauté absolus, majoritaires pendant la restauration).
La dimension satirique (voire même philosophique) va être accentuée dans le proverbe d'Alfred de Vigny, Quitte pour la peur, représenté à l'Opéra en 1833. Le genre du proverbe dramatique se transforme, il ne s'agit plus d'une devinette que l'action a charge de faire identifier mais d'une intrigue complexe qui vient illustrer le titre désormais explicite.
Musset, depuis l'enfance, est familier du genre son grand père l'a emmené voir jouer les proverbes de Carmontelle. Dans ses premières pièces, il a déjà eu recours à des expressions proverbiales pour intituler ses textes dramatiques (Les Marrons du feu, publié en 1829, La Coupe et les lèvres, en 1832), On peut en outre supposer qu'il cherche à profiter d'un effet de mode en donnant à sa pièce, On ne badine pas avec l'amour, le sous-titre de "proverbe".
Ce titre et la portée didactique sous entendue sont conformes aux principes du genre, en ce début de XIXe. Mais la longueur de la pièce, la richesse des décors, la complexité de l'intrigue et des personnages, le mélange des tons et le dénouement tragique font que la pièce de Musset dépasse le cadre strict et les ambitions du proverbe.
Musset poursuivra dans cette veine avec Il ne faut jurer de rien (1836), Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée (1845), On ne saurait penser à tout (1849). La tonalité de ces pièces est moins tragique que celle d'On ne badine pas avec l'amour. Et l'on peut considérer que Musset est le maître d'un genre qui, après lui, était destiné à s'éteindre de façon définitive.
(1) Alain Beretta, "Le proverbe chez Musset", L'école des lettres, 2013.
Ill. :
Quitte pour la peur, d’Alfred de Vigny ; film de Bruno François-Boucher, 2023.
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