I.
L’antithèse
L’antithèse consiste
généralement à faire coexister deux termes opposés au sein d’un même énoncé.
Aristote fait remarquer que l’antithèse est une figure de rhétorique fondée sur
la répétition, répétition de mots, de syllabes ou de rythmes.
Le célèbre
décasyllabe de Louise Labé illustre parfaitement la conception
aristotélicienne :
Je vis, je meurs,
je me brûle et me noie
Louise Labé,
« Sonnet VII », Sonnets.
Les verbes
sont antithétiques, par leur sens (vivre mourir), par l’élément auquel ils se
réfèrent (le feu et l’eau).
L’antithèse
peut aussi expliciter le doute, comme dans ces vers où Verlaine évoque cette
« femme inconnue » qui apparaît dans ses rêves
Et qui n’est, chaque fois, ni
tout à fait la même
Ni tout à fait une autre,
et m’aime et me comprend.
Verlaine,
« Mon rêve familier », Poèmes saturniens.
Les vers
développent une antithèse du même et de l’autre dans un processus de
modalisation (« ni tout à
fait ») qui traduit l’incertitude du rêveur
quant à l’identité de la femme.
L’antithèse
peut avoir pour fonction de créer un effet contrasté, au sein d’un tableau, par
exemple :
Les étoiles, points d'or, percent
les branches noires;
Hugo,
« A la fenêtre, pendant la nuit », Les Contemplations.
Elle
instaure alors une esthétique du contrate, primordiale pour les romantiques qui
affirmaient la nécessité du contrepoint pour rendre compte des antinomies de la
vie.
II.
L’expression du paradoxe
Définition : Le paradoxe se définit
communément comme une opinion contraire à l’opinion commune. Plus souvent, le
paradoxe se présentera sous la forme d’une transgression qui contredit les lois
de l’univers ou de la morale. Le paradoxe est la figure de l’impossible rendu possible.
Il peut prendre l’aspect de l’oxymore ou s’exprimer plus directement par le
biais d’énoncés qui suscitent l’étonnement.
A. L’Oxymore
L’oxymore
est typiquement une figure de style qui relève de cette logique du paradoxe
puisqu’elle unit dans un même syntagme nominal ou, dans une relation sujet /
attribut du sujet, un substantif à une expansion qui le contredit :
Je sais que
c'est la coutume
D'adorer ces
nains géants
Qui, parce
qu'ils sont écume,
Se supposent
océans;
Victor Hugo,
« II, XVIII », Les Contemplations.
Les
« nains géants » de Victor Hugo » sont les « César »,
« Pompée », chefs de guerre qui tirent leur gloire de hauts faits
guerriers et que le poète s’apprête à comparer au « Dieu des petits
oiseaux ». L’oxymore a pour fonction de relativiser cette gloire dont ils
se targuent. Elle participe, à ce titre, d’une stratégie argumentative de la
dévalorisation.
Plus
troublante et plus poétique, sera l’utilisation qu’en fait Baudelaire dans
l’« Invitation au voyage » :
Les soleils mouillés
De ces ciels brouillés
Pour mon esprit ont les charmes
Si mystérieux
De tes traîtres yeux,
Brillant à travers leurs larmes.
Baudelaire,
« L’Invitation au voyage », Les Fleurs du Mal,
L’oxymore « soleils mouillés » vient, en comparant
des « traîtres yeux », exprimer l’ambivalence de la femme
baudelairienne, à la fois lumineuse et chargée de mystères, guide spirituel et
possible agent de perdition.
B. Le
Paradoxe
Le paradoxe prend généralement le contre-pied de l’opinion
commune, comme dans ces vers extraits des Fleurs du Mal :
Dans les plis sinueux des vieilles capitales,
Où tout, même l’horreur, tourne aux enchantements,
Baudelaire, « Les petites vieilles », Les
Fleurs du Mal.
Baudelaire s’en sert fréquemment pour affirmer la morale
décalée du dandy qui délibérément cherche à rompre avec le commun des mortels.
Le paradoxe peut aussi s’affirmer dans la contradiction
d’une loi physique ou naturelle :
L’opium agrandit ce qui n’a pas de bornes,
Allonge l’illimité,
Baudelaire, « Le Poison », Les Fleurs du Mal.
Le paradoxe met ici en avant le singulier pouvoir de
l’opium, susceptible d’agrandir l’infini, et suggère les dangers d’un
« poison » qui conduit son utilisateur à transgresser en esprit les
lois de la nature.
III.
L’antiphrase
L’antiphrase est un paradoxe du discours, elle consiste à
faire comprendre le contraire de ce que l’on signifie. Baudelaire (encore lui),
démontre les mécanismes de l’antiphrase dans cette réflexion, extraite du Spleen
de Paris ; après avoir évoqué un ours blanc qui se dandine derrière
les barreaux de sa cage, il écrit :
« Ce monstre est un de ces animaux qu’on appelle
généralement « Mon ange ! », c’est à dire une femme… »
Baudelaire, « La femme sauvage et la petite
maîtresse », Le spleen de Paris.
Le discours attribue malicieusement ou inconsciemment
l’expression « Mon ange », à un être considéré comme monstrueux, ce
qui relève clairement de l’antiphrase. L’antiphrase est la figure privilégiée
du discours
ironique et suppose une complicité entre l’émetteur et le
destinataire qui a charge de reconstituer le sens véritable.
Il est à noter que, dans le texte de Baudelaire, l’ironie
fonctionne sur deux niveaux puisqu’elle concerne aussi l’émetteur de
l’expression « Mon ange », fustigé pour sa mauvaise foi. Le texte
poursuit d’ailleurs ainsi :
L’autre monstre, un bâton à la main est un mari. Il a
enchaîné sa femme légitime comme une bête, et il la montre dans les faubourgs,
les jours de foire…
Baudelaire, « La femme sauvage et la petite
maîtresse », Le Spleen de Paris.
Un
autre exemple d’antiphrase nous sera donné avec cette fable de Florian, qui
montre combien le procédé dépend du contexte énonciatif. Florian décrit une
jeune coquette Chloé, aux prises avec une abeille :
« Au
secours ! Au secours ! crie aussitôt la dame :
Venez,
Lise, Marton, accourez promptement ;
Chassez
ce monstre ailé. » Le monstre insolemment
Aux
lèvres de Chloé se pose."
Florian, « La Coquette et l’abeille », Fables.
Lorsque Chloé traite l’abeille de « monstre
ailé », nulle plaisanterie, l’expression peut, à la rigueur, témoigner de
la frayeur éprouvée par la jeune femme. Mais lorsque le fabuliste, reprend
l’expression « Le monstre », il opère un clin d’œil à destination du
lecteur. L’animal est inoffensif ou presque, la frayeur de la coquette un trait
de son caractère excessif.
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