Bonne copie bien rédigée, on déplorera simplement l'absence de réflexion portant sur la notion d' "univers carnavalesque".
« Dans
l'univers carnavalesque de Lorenzaccio, l'illusion est reine et les
rêves plus que les actions animent les personnages. Comme au
spectacle aussi, tout ce que l'on voulait cacher est immédiatement
découvert aux yeux de tous. » Jean-Marie Thomasseau
Lorenzaccio
est une pièce aux intrigues entrelacées, faite de jeux d'ombres et
de lumière, aux multiples facettes. Les secrets, les complots et les
murmures y sont légion et parent cette pièce de mystère. En effet,
plusieurs intrigues se juxtaposent: l'intrigue Strozzi, visant
à établir une république à Florence, l'intrigue Cibo, où deux
personnages tentent de contrôler le duc, l'une pour le bien du
peuple, l'autre afin d'avoir une main mise sur le pouvoir du duc et
de s'approcher de la papauté, et enfin l'intrigue de Lorenzo, le
personnage principal, ayant pour but d'assassiner le duc . Chacun de
ces acteurs agit dans l'ombre afin de parvenir à ses fins :
nous pouvons alors nous demander quels sont les éléments de
l'intrigue placés sous le sceau du secret, et paradoxalement mis à
nu aux vues des spectateurs au long de la pièce ? Nous verrons
dans un premier temps le double je(u) de Lorenzo, personnage éponyme
et principal de la pièce, puis les agissements dans l'ombre des
personnages secondaires.
Lorenzo de Médicis, jeune noble à la solde du tyrannique duc Alexandre de Médicis, est réputé et méprisé à Florence pour être l'âme damnée de celui-ci, tout en étant un symbole de perversion et de vice . La scène d'exposition nous renvoie d'ailleurs pleinement cette image : jouant d'entremetteur dans l'achat d'une jeune fille pour le duc, Lorenzo tient un discours d'un homme pervers et sans aucun scrupule : « Quoi de plus curieux pour le connaisseur que la débauche à la mamelle?Voir dans un enfant de quinze ans la rouée à venir ; étudier, ensemencer, infiltrer paternellement le filon mystérieux du vice dans un conseil d'ami, dans une caresse au menton » . On nous peint ici le portrait du Lorenzo connu de tous, une figure de mépris et de vices . Trois scènes plus tard, à la scène 4 , après avoir provoqué Sire Maurice, on le voit trembler à la vue d'une épée (« Regardez Renzo, je vous en prie ; ses genoux tremblent, il serait devenu pâle s'il pouvait le devenir » s'exclame le duc à la vue de Lorenzo apeuré) ajoutant l'épithète lâche à tous les qualificatifs qu'on lui prête.
Cependant,
ces facettes de Lorenzo, qui semblent pourtant si ancrées en lui,
s'évanouissent sous les yeux des spectateurs : par exemple,
nous pouvons voir à la scène I de l'acte III, Lorenzo s'entraînant
âprement à l'épée avec l'aide de Scoronconcolo : cette
scène, se déroulant cachée aux yeux du duc, vise à nous montrer
le second visage de Lorenzo, c'est-à-dire un homme sacrifiant sa
vertu tout comme son intégrité dans le seul but de faire tomber un
tyran. Ainsi, l'image projetée de Lorenzo vient à se métamorphoser
pour le spectateur : celui-ci comprend le double jeu du jeune
homme, de la même manière que ses fins. Elles-même se dévoilent
lors de l'aveu du but de Lorenzo à Philippe Strozzi, à la scène 3
de l'acte III : « Je suis en effet précieux pour vous,
car je tuerai Alexandre. » . Les soupçons se confirment
alors : ce Lorenzo lâche, dévoyé, n'est en fait qu'un rôle
afin de séduire le duc et d'en permettre l'assassinat.
Outre
les manigances de Lorenzo, il apparaît que tous les personnages des
intrigues secondaires jouent un rôle dans l'ombre : ainsi le
cardinal Cibo, manipule sa belle-sœur la marquise Cibo et le duc
afin d’assouvir sa soif de pouvoir en confortant sa place aux côtés
du duc . Il dévoile ainsi ses ambitions dans la scène 3 de l'acte
III : « Je serai l'anneau invisible qui l'attachera,
pieds et poings liés, à la chaîne de fer dont Rome et César
tiendront les deux bouts ».
Dans
ce même monologue, on s'aperçoit que la liaison de la marquise Cibo
et du duc, qu'elle croyait pourtant exercer elle aussi en secret,
n'est en fait qu'une autre machination perpétrée par le cardinal
pour parvenir à ses fins : à la scène 3 de l'acte I, on voit
le cardinal espionner la marquise en interceptant un billet à son
intention, écrit par le duc. Mais ses intentions ne sont réellement
dévoilées qu'au cours de ce monologue : « Alexandre
aime ma belle-sœur ; que cet amour l'ait flattée, cela est
croyable ; ce qui peut en résulter est douteux ; mais ce
qu'elle veut en faire, c'est là ce qui est certain pour moi. Qui
sait jusqu'où pourrait aller l'influence d'une femme exaltée, même
sur cet homme grossier, sur cette armure vivante ? » .
De
son côté, la marquise Cibo séduit le duc afin de tenter de le
réformer : usant de leur liaison comme moyen d'approche, elle
espère le convaincre de se mettre au service du peuple et de changer
ainsi la vie politique de Florence. On trouve cette tentative à la
scène 6 de l'acte III : « Va, cela est facile
d'être un grand roi quand on est roi. Déclare Florence
indépendante, réclame l'exécution du traité avec l'empire, tire
ton épée et montre la ! ». Malheureusement, elle se
solde par un échec.
Ainsi,
nous pouvons avancer que ces deux personnages agissent tous deux
secrètement, chacun dans le but de contrôler le pouvoir politique
florentin, celui-ci représenté par le duc.
C'est
ainsi que nous pouvons dire que Lorenzaccio est une pièce aux jeux
de lumière et de trompe-l’œil, chacun de ses personnages agissant
dans l'ombre afin de parvenir à leur but qu'ils se sont fixés :
l'illusion est donc maîtresse, chacun cachant leur but aux yeux de
tous, qui pourtant n'échappent pas aux spectateurs.
Hélène R. TL
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