mardi 18 décembre 2018

Analyse linéaire de "Heureux qui comme Ulysse..." de Du Bellay

L'analyse linéaire a été rédigée pour faciliter la lecture, en temps limité, on se contente de la présenter au brouillon son forme de notes destinées à rappeler les procédés identifiés.

Composition du sonnet

Les deux quatrains établissent une comparaison entre le bonheur de héros mythologiques qui ont effectué un voyage enrichissant et la situation du poète qui ressent son exil à Rome comme un séjour stérile et regrette son pays natal.
Les tercets, s’appuyant sur le mécanisme de l’anaphore, établissent des comparaisons entre Rome et le pays natal du poète.

Première strophe

Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau[1] voyage,
Ou comme cestui-là[2] qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d’usage[3] et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge !

La première strophe repose sur un enjambement, la phrase se déploie sur quatre vers et célèbre le bonheur des héros qui ont pu retrouver, après de multiples aventures leur foyer. Il s’agit d’une phrase exclamative qui traduit l’envie du poète dont on apprendra dans la strophe suivante qu’il vit son séjour à Rome comme un exil.
Le premier des héros évoqué est Ulysse dont le nom est mis en valeur à l’hémistiche, le [i] de « Ulysse » est accentué comme celui du pronom « qui » et semble lui faire écho. Le pronom en question (qui) n’a pas d’antécédent : renvoyant ainsi à tout un chacun, il prend ainsi une dimension universelle. Si le premier vers semble célébrer le voyage, une note signale qu’on peut prendre l’adjectif « beau » au sens d’exemplaire et d’héroïque, on notera que le passé composé n’envisage ce voyage que dans sa dimension accomplie. Le terme « voyage » rime avec « âge », ce qui semble suggérer que le bonheur du voyage est lié à l’expérience qu’il a procuré et qu’il n’est véritablement profitable qu’envisagé rétrospectivement.
Un deuxième comparant est mentionné dans le deuxième vers, il s’agit de Jason, évoqué par une périphrase : « cestui-là qui conquit la toison », le poète choisit d’évoquer le héros en se référant à l’exploit qui l’a rendu célèbre, ce qui lui permet de mettre en avant l’objet du voyage de Jason , la fameuse toison d’or qui symbolise à l’avance les idéaux d’ « usage et raison » évoqués au vers suivant. Le voyage ne vaut que s’il permet à l’homme de grandir, de tendre vers cette sagesse fruit de l’expérience et de la connaissance qui caractérise l’idéal humaniste. La désignation du héros par le démonstratif « cestui-là » et l’usage du passé simple dans ce vers manifestent la singularité de l’exploit : autant l’expérience du retour d’Ulysse semblait revêtir un caractère universel, autant celle de Jason, signalé par son héroïsme, à quelque chose d’unique. Peut-être Du Bellay envisage-t-il aussi la dimension symbolique de la toison (sagesse et connaissance) qui n’est pas le lot de tout le monde.
Le troisième vers évoque le retour, condition d’un voyage pleinement réussi, lequel apporte « usage et raison », le voyage ne vaut que s’il apporte à l’homme une forme d’accomplissement (idéal de l’homme de la Renaissance), le vers qui peut se lire sur un rythme croisant (2/4/6), mime le mouvement du retour et l’accumulation d’ « usage » (expérience) qu’il évoque.
Le dernier vers, à l’infinitif, traduit l’aspiration du poète qui est aussi l’aspiration de tout homme (l’infinitif étant le mode de la généralisation), les « parents » désignent au sens large la famille, ainsi Ulysse a-t-il retrouvé sa femme et son fils. Là encore on peut lire ce vers sur un rythme croissant (1/5/6) qui traduit l’aspiration à un bonheur qui se prolonge dans le temps.

Deuxième strophe

Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village
Fumer la cheminée, et en quelle saison
Reverrai-je le clos[4] de ma pauvre maison,
Qui m’est une province[5], et beaucoup d’avantage ?

Le poète crée semble-t-il une rupture, à l’évocation des héros succède celle du moi qui fait son apparition avec le pronom « je », accentué avant l’interjection « hélas » et ainsi relié à l’idée de déploration. De même, l’utilisation du futur tranche sur celle des temps du passé utilisés précédemment.
La strophe présente néanmoins un point commun avec la précédente : structurellement, elle déploie une phrase unique mais il s’agit d’une phrase interrogative qui traduit les angoisses du poète, quand reverra-t-il les siens ? S’il y a bien un parallèle entre les deux strophes, il s’agit d’un parallèle ironique car alors que les héros sont rentrés forts d’une expérience et d’un savoir nouveaux, rien n’indique que ce soit le cas du poète qui semble davantage subir son séjour qu’en retirer des fruits. Alors que les héros ont été évoqués à leur retour, lui s’envisage dans un état d’exil douloureux qui peut faire penser à celui d’Ulysse attendant le verdict des Dieux sur l’île de Calypso dans l’Odyssée.
Le poète procède à la valorisation du pays natal par l’utilisation d’un possessif (mon) et d’un adjectif (petit) qui traduisent son affection. La maison est en outre évoquée par une synecdoque (la cheminée) qui connote l’idée d’un foyer accueillant.
De la même façon, le « clos » est une synecdoque qui symbolise l’espace restreint d’un chez soi lié à l’enfance. Et la « pauvre maison » est une expression qui, comme « le petit village » précédemment souligne la valeur affective que lui porte le poète, malgré son insignifiance apparente (et relative pour qui connaît la maison du poète). Le dernier vers procède quant à lui de l’hyperbole, le « clos de la maison » devient « province » (royaume d’après la note), il s’agit de montrer quelle valeur le poète lui accorde et le groupe coordonné « beaucoup davantage » vient signifier que cette valeur n’est pas d’ordre quantifiable ou politique mais relève de l’affectivité la plus profonde.
Le schéma des rimes féminines qui encadre une rime masculine est celui d’un sonnet régulier où les quatrains se font écho si le thème du voyage est repris dans le second quatrain sur le mode de la nostalgie du pays natal on remarque également que dans les deux quatrains le temps joue un rôle déterminant. Alors que dans le premier quatrain le temps du voyage est envisagé comme révolu et l’ « âge » du héros comme un moment heureux de vie partagée avec la parentèle. Le second quatrain fait du temps le support d’une interrogation (« Quand… ? », « En quelle saison… ? »), il est pour le poète un futur indéterminé qui le sépare du moment attendu de son retour. A la satisfaction du héros rentré enrichi de ses épreuves s’oppose bien la nostalgie du poète qui ressent son séjour comme un exil.

Les deux tercets

Plus me plaît le séjour qu’ont bâti mes aïeux,
Que des palais Romains le front audacieux ;
Plus que le marbre dur me plaît l’ardoise fine,
Plus mon Loire[6] Gaulois, que le Tibre Latin,
Plus mon petit Liré[7], que le mont Palatin,
Et plus que l’air marin la douceur Angevine.

Dans les deux tercets, le poète oppose de façon systématique, son Anjou natale à la puissance romaine : sa subjectivité s’affirme avec l’anaphore du verbe « me plaît » et la récurrence du comparatif de supériorité « plus que » qui met en évidence sa préférence pour la terre natale.
Le schéma métrique est celui d’un sonnet régulier et Ronsard avec le distique d’entrée oppose « le séjour qu’ont bâti » ses « aïeux » au palais romain. La périphrase du « séjour » « bâti » par les « aïeux » suggère à la fois la modestie du lieu qui s’opposera « au front audacieux » des palais romains ‑ ainsi personnifiés, ils symbolisent l’orgueil de leurs propriétaires. Et la rime « aïeux / audacieux » semble presque une rime antisémantique tant les aïeux semblent personnifier une simplicité qui est à l’opposé de l’orgueil roman.

Dans le quatrain final les vers qui portent la rime féminine énonce d’abord l’objet du rejet « le marbre dur » ; « l’air marin » associés à Rome pour s’achever sur l’élément valorisé (« l’ardoise fine », « la douceur angevine ». Les vers qui s’achève sur une rime masculine procède de façon inverse  et le poète y évoque d’abord son « Loire Gaulois » et son « Petit Liré » (la encore il utilise des possessifs qui figurent la marque de son attachement) ; on notera par ailleurs la dénotation de l’adjectif « Gaulois », qui renvoie aux guerres contre Rome du premier siècle. Alors que les vers qui forment la rime embrassée évoquent des lieux emblématiques, les vers qui constituent la rime embrassante évoquent des éléments qui par métonymie renvoient aux contrées opposées par le discours du poète : la simplicité de l’ardoise est préférée au marbre dont la dureté semble faire écho à celle des courtisans romains. Et la « douceur angevine » préférée à l’ « air marin » qui rappelle le thème du voyage évoqué dans les premiers vers.



[1] Beau : exemplaire, héroïque.
[2] Cestui-là : celui-là.
[3] Usage : expérience, sagesse.
[4] Clos : l’enclos, le jardin.
[5] Province : royaume, par métonymie.
[6] Loire : le mot est masculin, en référence au latin.
[7] Liré : village natal de Du Bellay.

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