mercredi 10 octobre 2018

L'école de Lyon

I. Définition

Maurice Scève et les grandes figures lyonnaises du XVIe siècle n'on jamais cherché à s’imposer en tant que groupe ni même à forger une doctrine ou à produire le moindre manifeste. Ces poètes partagent néanmoins les même influences, font preuve d’une même ouverture d’esprit et se rejoignent sur certains critères esthétiques.

II. Le néoplatonisme

La redécouverte de Platon et des néoplatoniciens par les humanistes du XVe siècle exerce sur la  et l’art occidentaux une influence déterminante. La philosophie de Platon qui distingue le monde des idées du monde sensible conduit à considérer l’expérience amoureuse comme l’occasion d’une expérience spirituelle. L’être aimé devient ainsi le médiateur qui doit conduire à l’appréhension du beau et du monde des idées. L’amour s’explique par la nostalgie d’une unité perdue en référence au mythe de l’Androgyne évoqué par Platon dans le Banquet, ainsi que l'exprime le célèbre Dizain de Maurice Scève:

Plutôt seront Rhône et Saône disjoints,
Que d'avec toi mon cœur se désassemble :
Plutôt seront l'un et l'autre mont joints,
Qu'avecques nous aucun discord s'assemble :
Plutôt verrons et toi et moi ensemble
Le Rhône aller contremont lentement,
Saône monter très violentement,
Que ce mien feu, tant soit peu, diminue,
Ni que ma foi décroisse aucunement.
Car ferme amour sans eux est plus que nue.
Scève, « Dizain XVII », Délie.
Mais le néoplatonisme est aussi générateur de dilemmes, l’exigence spirituelle entre en conflit avec le désir charnel. D’où la fréquence d’une rhétorique de l’antithèse pour signifier l’intensité du conflit, ainsi dans ces vers où Scève développe le paradoxe d’un amour qui cultive les extrêmes de la haine et de l’adoration :
Ainsi me fait haïr mon vain désir
Celle pour qui mon cœur toujours me prie.
Maurice Scève, « Dizain XLIII », Délie.
Ou ces vers de Pernette du Guillet où s’exprime la volonté d’une sublimation du désir et la nécessité d’une transmutation de la noirceur en blancheur.
Je fuiray loing d'ignorance le vice,
Puis que desir de me transmuer as
De noire en blanche et par si hault service
En mon erreur ce vice mueras.
Perentte du Guillet, « Ryme V », Rymes.

III. L’art de « pétrarquiser » :

Du Canzoniere de Pétrarque, les poètes de la renaissance retiendront une forme, celle du chansonnier
(recueil destiné à louer la femme aimée) et une rhétorique de la passion marquée par la métaphore, l’hyperbole, l’antithèse et qui frise parfois l’affectation.
Le mérite des poètes de l’école lyonnaise est d’avoir su asservir cette rhétorique à l’expression d’authentiques passions. La métaphore cherche à saisir l’intensité du sentiment amoureux ou à décrire un processus d’idéalisation :
Celui qui voit ses yeus jumeaus,
Voit au Ciel deus heureus flambeaus,

Qui rendent la nuit plus cerene
Olivier de Magny, « Ode en faveur de Louise Labé », Escriz de divers poetes.
Pernette du Guillet
Depuis qu'Amour cruel empoisonna
Premierement de son feu ma poitrine,
Tousjours brulay de sa fureur divine,
Qui un seul jour mon cœur n'abandonna.
Louise Labé, « Sonnet 3 », Sonnets.
L’antithèse traduit les douleurs de l’absence ou les égarements de la passion
En toi je vis, où que tu sois absente :
En moi je meurs, où que soye présent.
Scève,
Je vis, je meurs, je me brûle et me noie
J’ai chaud extrême en endurant froidure
Louise Labé, « Sonnet VII », Sonnets.
La rhétorique pétrarquiste, parce qu’elle valorise les extrémités de la passion, annonce les outrances du baroque et son goût de l’instabilité.

IV. Les Poètes

Lyon, fut un véritable centre culturel, tous les poètes de la Pléiade, fréquentèrent les salons lyonnais, Rabelais y publia ses œuvres. Et la production littéraire y fut intense et variée. De nombreux poètes composèrent des œuvres de qualité : Ponthus de Tyard, Pernette du Guillet, Olivier de Magny, Antoine Héroët. Deux poètes se singularisent par la densité des leurs œuvres et leur modernité : Maurice Scève et Louise Labé.
A. Maurice Scève
Dante avait Béatrice, Pétrarque sa Laure, Maurice Scève aura sa Délie, en réalité Pernette du Guillet.Délie, publiée en 1544, s’inspire d’une authentique et douloureuse passion contrariée, l’auteur métamorphose l’expression du sentiment amoureux en une quête de l’amour et du divin, ainsi peut-on lire dans le pseudonyme de l’amante l’anagramme de l’« Idée. » Le dizain suivant montrera comment le poète, dans la tradition courtoise, divinise la femme qui devient ainsi reflet de ce monde des « Idées » auquel aspire le poète, de toute son âme :
Le nom choisi par cet érudit pour désigner son amante est à lui seul caractéristique de la manière du poète. S’il ne fait aucun doute que sa
Ce lien d'or, rais de toi, mon Soleil,
Qui par le bras t'asservit Ame et vie,
Détient si fort avec la vue l'œil
Que ma pensée il t'a toute ravie,
Me démontrant, certes, qu'il me convie
A me stiller tout sous ton habitude.
Heureux service en libre servitude,
Tu m'apprends donc être trop plus de gloire
Souffrir pour une en sa mansuétude,

Que d'avoir eu de toute autre victoire.
Maurice Scève, « XII », Délie.
En plus de quatre cent dizains le poète célèbre son amour pour Délie, mais il n’oublie pas que Délie est aussi l’un des surnoms de la déesse Diane, Hécate, archétype de la féminité redoutable et insaisissable. Délie est donc le prétexte à un véritable cheminement initiatique dans la tradition néoplatonicienne et l’œuvre redécouverte par les symbolistes, l’un des sommets de la poésie du XVIe, Scève ayant su tirer du dizain les effets les plus variés.
B. Louise Labé
L’œuvre de Louise Labé (1524-1566) expérimente divers aspects de la poésie en vogue en ce milieu de XVIe, le dialogue allégorique en vers (Débat de folie et de d’Amour), l’élégie mais ce sont surtout ces Sonnets qui révèlent son talent poétique. Etonnants d’audace, de liberté et de sensualité, ils révèlent une parfaite maîtrise du rythme et de l’image et se démarquent du platonisme par une exaltation de la sensualité qui put choquer.
O beaux yeux bruns, ô regards détournés,
O chauds soupirs, ô larmes épandues,
O noires nuits vainement attendues,
O jours luisants vainement retournés :
Louise Labé

O tristes pleins, ô désirs obstinés,
O temps perdu, ô peines dépendues,
O mille morts en mille rets tendues,

O pires maux contre moi destinés.

O ris, ô front, cheveux, bras, mains et doits :
O luth plaintif, viole, archet et voix :
Tant de flambeaux pour ardre une femelle !

De toi me plains, que tant de feus portant,
En tant d'endroits d'iceux mon cœur tâtant,
N'en est sur toi volé quelque étincelle.
Louise Labé, « II », Sonnets.
La voix de Louise Labé est la voix du désir, ce désir féminin que toute une civilisation cherche à occulter, c’est aussi la voix d’une femme libre qui étonne, par sa modernité après plus de quatre siècles.
La biographie de Louise Labé est mal connue, d’aucuns prétendent même que la poétesse ne serait qu’une fiction littéraire créée par Maurice Scève et les siens, ainsi subit-elle le sort des Shakespeare et Molière, auteurs géniaux et dérangeants dont l’envergure est telle qu’elle ne semble pouvoir tenir en un seul individu.

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