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samedi 16 août 2025

Le sonnet régulier

I. Définition
Né en Sicile au XIIIe siècle, le sonnet s’épanouit sous la plume des grands poètes italiens de
la renaissance, Boccace, Dante, et surtout Pétrarque dont l’œuvre nourrira l’imaginaire et la rhétorique des poètes français du XVI
e siècle. Le sonnet est un poème de quatorze vers répartis en deux quatrains et deux tercets (un sizain, à l’origine).

II. Le sonnet régulier
A. Le sonnet italien
Le sonnet dit « régulier » autorise deux structures canoniques :
La structure dite à « l’italienne » du sonnet consiste à présenter des rimes embrassées dans les tercets (abba) puis une rime suivie (cc) et, enfin, un ensemble de rimes embrassées (deed). L’appellation « italienne » est trompeuse puisqu’on peut constater que Pétrarque expérimente très tôt d’autres modes d’organisations des rimes au sein des tercets (cdecde, par exemple).
b. Le sonnet français
Le sonnet dit à la « française » préfère l’organisation ccd/ede dans les tercets. Là encore, il convient de relativiser l’appellation puisque les poètes de la Pléiade utilisent fréquemment le sonnet italien. Il est à noter, en outre, que, très tôt, s’impose en France l’alternance des rimes féminines et masculines.
Louise Labé, dans ses Sonnets (1550) utilise aussi bien la forme italienne que la forme française, on remarquera dans le sonnet suivant l’alternance, déjà présente, de rimes masculines et féminines.

Ne reprenez, Dames, si j'ai aimé :
Si j'ai senti mille torches ardentes,
Mille travaux, mille douleurs mordantes :
Si en pleurant, j'ai mon temps consumé,

Las que mon nom n'en soit par vous blâmé.
Si j'ai failli, les peines sont présentes,
N'aigrissez point leurs pointes violentes :
Mais estimez qu'Amour, à point nommé,

Sans votre ardeur d'un Vulcain excuser,
Sans la beauté d'Adonis accuser,
Pourra, s'il veut, plus vous rendre amoureuses :

En ayant moins que moi d'occasion,
Et plus d'étrange et forte passion.
Et gardez-vous d'être plus malheureuses
Louise Labé, « Sonnet XXIV », Sonnets.
Le sonnet est de forme italienne, les quatre derniers vers utilisant des rimes embrassées. L’alternance rimes masculines, rimes féminines est des plus régulières puisque sont masculines les rimes a (en [me]), c (en [kyze]) et e (en [iɔ̃]) alors que sont féminines les rimes b (en [ãt]) et d (en [∅z])

C. Le sonnet élisabéthain

En marge du sonnet régulier, s’affirment d’autres schémas d’organisation métrique : le sonnet skakespearien (élisabéthain) dispose les tercets en un quatrain, suivi d’un distique (cdd/cee), obtenant ainsi trois quatrains à rimes embrassées.

jeudi 14 août 2025

Les Images

I. Définition

Les images sont des figures de style qui consistent à opérer une comparaison entre deux éléments (le comparé et le comparant), sur la base d’un élément commun (l’élément de comparaison) qui précise l’analogie.

 II. La comparaison

La comparaison est la plus explicite des images, elle repose généralement sur quatre éléments : le comparé et le comparant, un outil, qui manifeste le rapport de ressemblance, et un élément de comparaison :
La femme cependant, de sa bouche de fraise, 
En se tordant, ainsi qu’un serpent sur la braise, 
Baudelaire, « Les Métamorphoses du vampire », Les Fleurs du Mal
Martin van Maele, "La Métamorphose du vampire".
Dans cette comparaison de Baudelaire, les quatre éléments sont explicitement signalés dans la phrase: Terme comparé : "la femme";
élément de comparaison : "se tordant";
outil de comparaison : "ainsi qu'";
terme comparant : "un serpent sur la braise ".

III. La Métaphore 

La métaphore pourrait se définir comme une comparaison elliptique, le langage faisant l’économie de l’une des composantes à l’œuvre dans la comparaison. L’élément de comparaison, par exemple peut ne pas être évoqué :
Yeux, lacs avec ma simple ivresse de renaître
Mallarmé, « Le Pitre châtié », Poésies
L’imagination peut alors se déployer : est-ce la couleur des yeux qui inspire la métaphore ? Leur éclat ? Le sentiment amoureux éprouvé par le poète qui se manifeste dans l’ivresse pressentie d’une renaissance ?
La Métaphore filée Lorsque la métaphore s’étend et multiplie les éléments de comparaison, on parle de métaphore filée :
Si ton âme enchaînée, ainsi que l'est mon âme, 
Lasse de son boulet et de son pain amer, 
Sur sa galère en deuil laisse tomber la rame, 
Penche sa tête pâle et pleure sur la mer...
Vigny, « La Maison du berger », « Lettre à Eva », Les Destinées
La comparaison de l’âme à un galérien fatigué s’élabore d’abord de façon allusive pour ensuite se déployer de manière à suggérer l’épuisement et le découragement. I

IV. La personnification

Il s’agit en fait d’une métaphore dont le comparant (un être animé) est simplement suggéré.
Il existe plusieurs manières de construire une personnification :
A. L’objet sujet
Le poète fait de l’objet personnifié, le sujet d’une action habituellement effectuée par un être humain :
La lune peignait ses cheveux avec un démêloir d'ébène qui argentait d'une pluie de vers luisants les collines, les prés et les
bois.
Aloysius Bertrand, « Le Fou », Gaspard de la nuit.
La personnification de la lune en femme peignant ses cheveux permet d’amorcer une métaphore qui permet d’assimiler le lumière à des gouttelettes se détachant d’une chevelure.
B. L’objet vivant
Il est aussi possible d’attribuer les caractéristiques d’un être vivant à un objet inanimé :
Ce cœur de l'eau souvent malade et sans mémoire.
Rodenbach, « Le Cœur de l’eau », Règne du silence.
Par ce procédé Rodenbach métamorphose la ville envahie de canaux en un gigantesque corps vivant atteint de maladie.
C. L’objet apostrophé
Apostropher un objet revient à lui conférer le statut d’interlocuteur et donc d’être vivant :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.
Rimbaud, « Le dormeur du val », Poésies.
La personnification permet de conférer ironiquement à la nature des dispositions maternelles.
D. La prosopopée
A l’inverse, la prosopopée consiste à faire parler un mort, un animal, un objet, un concept :
Je suis la pipe d'un auteur ;
On voit, à contempler ma mine,
D’Abyssinienne ou de Cafrine,
Que mon maître est un grand fumeur.
Baudelaire, « La Pipe », Les Fleurs du Mal.
L’objet ainsi saisi, est généralement valorisé et autorise l’expression d’un discours décalé qui se signale par son étrangeté.

V. L’Allégorie
L’allégorie consiste à figurer une idée abstraite sous la forme d’une image. L’Albatros de Baudelaire représente de façon allégorique la condition du poète persécuté, le sens de  l’allégorie est d’ailleurs explicitée dans un dernier quatrain fut rajouté par le poète
 
Souvent, pour s'amuser, les hommes d'équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.
 
A peine les ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à coté d'eux.
 
Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule!
Lui, naguère si beau, qu'il est comique et laid!
L'un agace son bec avec un brûle-gueule,
L'autre mime, en boitant, l'infirme qui volait!

Le Poête est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l'archer;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l'empêchent de marcher.
Baudelaire, « L’Albatros », Les Fleurs du Mal.
L’animal symbolise l’inadaptation du poète au monde des hommes, mais aussi une aptitude à fréquenter les « nuées » ainsi qu’à percevoir les « gouffres amers » de la condition humaine. Les hommes d’équipages offrent une vision grotesque de la société humaine occupée avant tout de distractions grossières et cruelles. L’Allégorie organise un réseau d’échos sémantiques qui mettent l’idée et ses ramifications en image.

dimanche 10 août 2025

Le rythme en poésie

I. Définitions

Le rythme du vers français est déterminé par la place des accents et des coupes au sein du vers. 
En français, l’accent se place sur la dernière syllabe d’un groupe grammatical. Par groupe grammatical, il faut entendre un ensemble syntaxique autonome : un groupe nominal, un ensemble sujet verbe, une interjection… L’accent ne porte jamais sur le « e » muet (caduc). Et la pause survient immédiatement après l’accent.
Un soir,/ t'en souvient-il ?// nous voguions/ en silence,
Lamartine, « Le Lac », Méditations poétiques,.
On obtient ainsi un rythme 2/4 // 3/3, rythme caractéristique de l’alexandrin binaire qui repose sur une césure à l’hémistiche (syllabe médiane).

2. Les rythmes de l’alexandrin

a. Rythmes binaire et ternaire

Dans ’alexandrin classique postule le rythme binaire est une nécessité, il est marqué par deux accents répartis de façon sensiblement égale sur chaque hémistiche
Eva/ qui donc es-tu ?// Sais-tu bien/ ta nature ?
Sais-tu/ quel est ici// ton but/ et ton devoir ?
Vigny, « La Maison du berger », Les Destinées.
Les vers suivent les rythme, 2/4//3/3, 2/4//2/4, rythmes binaires réguliers.
Les romantiques ont revendiqué la paternité de l’alexandrin ternaire qui passait pour une audace. Hugo l’utilise en fait assez peu.
Si j’étais Dieu/ ; la terre et l’air/ avec les ondes
Hugo, « A une femme », Les Feuilles d’automne.
Si le rythme binaire souligne un effet d’insistance (le martèlement du questionnement chez Vigny), le rythme ternaire par son amplitude rend compte de la dimension spatiale d’une rêverie cosmique

b. Le rythme accumulatif

L’accent peut se démultiplier de façon anarchique ainsi dans ces deux vers de Verlaine, à l’extraordinaire régularité binaire du premier vers (3/3//3/3) qui fige l’expression dans une immobilité statuaire, succède un rythme accumulatif (1/3/2/2/2/2) qui mime les inflexions dune voix hésitante :
Son regard est pareil au regard des statues
Et/ pour sa voix/ lointai/ne et cal/me et gra/ve elle a
Verlaine, « Mon rêve familier »,  Poèmes saturniens.

c. Le rythme croissant

Les accents s’espacent progressivement pour créer un effet d’éloignement (2/4/6)
Partir/ en s’embrassant// du nid qui les rassemble
Lamartine, « Chant d’amour », Nouvelles Méditations poétiques.

lundi 4 août 2025

Les figures d'intensité

Les figures d’intensité sont des procédés de style destinés à amplifier ou, à l’inverse, atténuer l’expression.

I. L’expression de l’atténuation

A. La litote

La litote travaille à suggérer, par une phrase de forme négative, un contenu affirmatif :

[…] Les Hurons, cette nuit, ont scalpé

Mes frères, mon mari ne s’est point échappé.

Vigny, « La Sauvage », Les Destinés.

L’Indienne qui vient chercher protection auprès d’une famille de colons, suggère ainsi la mort de son mari avec pudeur, pour épargner ses interlocuteurs et s’épargner elle-même d’une évocation douloureuse...

B. L’euphémisme

L’Euphémisme est une figure qui consiste à atténuer l’expression d’un concept jugé déplaisant ou heurtant par l’émetteur de l’énoncé :


Je m’appuierai si bien et si fort à la vie, […]

Qu’avant que la douceur du jour me soit ravie

Elle s’échauffera de mon enlacement.

A. de Noailles, « L’empreinte », Le cœur innombrable.

La mort est ici évoquée par une subordonnée de temps dont le sujet (« la douceur du jour ») rappelle le prix de la vie, conférant au propos une portée pathétique.

C. La prétérition

Avec la prétérition, l’émetteur feint de vouloir taire ce qu’il s’apprête à formuler :

Je ne vous peindrai point le tumulte et les cris,
Le sang de tous côtés ruisselant dans Paris,
Le fils assassiné sur le corps de son père,
Le frère avec la sœur, la fille avec la mère…

Voltaire, Chant III, La Henriade.

La prétérition attire finalement l’attention de l’interlocuteur sur le message prétendument passé sous silence. Il s’agit donc, malgré l’apparente atténuation qu’elle fait porter sur l’énoncé, d’une figure de persuasion plutôt utilisée dans les poèmes à vocation didactique ou argumentative.

II. Les figures d’amplification

A. L’hyperbole

L’hyperbole est une exagération manifeste de l’expression : ainsi Verlaine évoque-t-il, non sans outrance, la mort de Philippe II d’Espagne, utilisant un lexique de la démesure :

Puis le râle des morts hurla dans la poitrine
De l'auguste malade avec des sursauts fous :

Verlaine, La Mort de Philippe II, Poèmes saturniens.

On peut soupçonner Verlaine, ici, de se livrer à une parodie du style parnassien qui cultivait une certaine emphase..

L’hyperbole peut aussi se manifeste aussi dans l’utilisation de comparatifs et superlatifs :


Dans le clapotement furieux des marées,

Moi, l’autre hiver, plus sourds que des cerveaux d’enfants,

Je courus ! …

Rimbaud, « Le bateau ivre » ; Poésies.

A la furie des éléments, Rimbaud oppose l’attitude autistique du bateau ivre, emporté par son seul désir de fuite en avant.

Les images enfin peuvent s’avérer hyperboliques :

Toi qui, comme un coup de couteau,

Dans mon cœur plaintif es entrée;

Toi qui, forte comme un troupeau

De démons, vins, folle et parée

Baudelaire, « Le Vampire », Les Fleurs du Mal.

Les comparaisons paroxystiques confèrent à la femme vampire une puissance irrésistible, source d’une violence à laquelle le poète n’a rien à opposer.

B. L’anaphore

L’anaphore est la répétition d’un segment syntaxique :

Il n’y avait rien

rien que la poussière des routes

rien que les routes de misère,

rien que des reines mortes clouées à des poutres.

René Daumal, « L’Abandon », Le Contre-ciel.

Le poète, par l’anaphore circonscrit le néant d’une vie dépourvue d’idéal.

C. L’accumulation et la gradation

L’accumulation est une construction syntaxique qui consiste à juxtaposer des éléments de même fonction grammaticale :

Toute la nostalgie éparse de la terre

Pour le soleil, pour la chaleur, pour la lumière

Pour l’eau, pour les ébats folâtres des troupeaux,

Et ton désir, jamais assouvi de repos,

Tout cela chante et se lamente…

Alfred DesRochers, « Hymne au vent du Nord », A l’ombre de l’Orford.

L’accumulation traduit ici le foisonnement de la vie intériorisé parce que soumis à la violence des vents du Nord.

La gradation est une accumulation dont les éléments constitutifs sont ordonnés :

Il était douteux, inquiet :
Un souffle, une ombre, un rien, tout lui donnait la fièvre.

La Fontaine, Le Lièvre et les Grenouilles, Fables.

La gradation permet à La Fontaine de signifier l’extrême inquiétude du lièvre motivée par des éléments dont la futilité va croissante.

C'est un roc ! ... c'est un pic ! ... c'est un cap ! Que dis-je, c'est un cap ? … C'est une péninsule !

D. Le pléonasme

Le pléonasme investit l’énoncé d’une répétition en apparence inutile, évoquant un buffet, Rimbaud écrit :

Tout plein, c’est un fouillis de vieilles vieilleries.

Rimbaud, « Le buffet », Poésies.

L’adjectif « vieilles » fait redondance sur le nom qu’il détermine (« vieilleries ») mais le pléonasme fait véritablement figure d’insistance puisqu’il permet d’accentuer les deux idées énoncées dans le vers : l’antiquité des objets dissimulés et le désordre par l’allitération en [j] qu’il occasionne.

jeudi 31 juillet 2025

Les figures de substitution


I Définition

Les figures de substitution consistent à remplacer, au sein d’un discours, un élément B (le substitué) par un élément A (le substituant), entre le substituant (A) et le substitué (B) existe nécessairement un rapport de sens.

II. La métonymie

Avec la métonymie on substitue à un objet B, un objet A qui présente avec le premier un rapport de sens.

Sur une cadence se glisse
Un domino ne laissant voir
Qu’un malin regard en coulisse
Théophile Gautier ; « Carnaval » ; Emaux et Camées.
Dans ces vers, Théophile Gautier préfère le costume, le « domino » (A), à son propriétaire (B), la figure de style permet de signifier l’efficacité du déguisement.
Les rapports de sens entre substituants et substitués peuvent varier. Ce peuvent être des liens de fonctionnalité (l’instrument substitué à l’instrumentiste, un tambour), des liens de proximité (le vêtement pour la personne qui le porte –le domino, ci-dessus – ou le contenant pour le contenu, boire un verre), des liens symboliques (dans le titre du roman de Stendhal, Le Rouge et le Noir, le rouge symbolise l’uniforme de l’armée, le noir, la soutane du clergé), etc.

III. La synecdoque

La synecdoque est une métonymie dont les éléments (substituant et substitué) entretiennent un rapport de sens plus étroit : une partie est substituée à un tout, un tout à une partie,
Il est dans ces déserts, un toit rustique et sombre
Que la montagne abrite de son ombre.
Lamartine, « Milly ou la terre natale », Méditations poétiques.
Le toit remplace ici la maison, la synecdoque permet d’insister sur la dimension protectrice de la maison.
Un matériau peut désigner l’ensemble dont il est constitué :
A peine les ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à coté d'eux.
Baudelaire, « L’Albatros », Les Fleurs du Mal.
La synecdoque des « planches » (mises pour le pont du navire) permet une évocation réaliste du choc subi par l’oiseau brusquement jeté à terre.

IV. La périphrase

La périphrase est un substitut lexical, il s’agit le plus souvent d’un groupe nominal qui, indirectement, désigne l’élément substitué :
Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ?
Dit cet animal plein de rage :
La Fontaine, « Le loup et l’agneau », Fables.
L’ « animal plein de rage » renvoie au loup qui s’apprête à dévorer l’agneau, la périphrase permet la mise en évidence d’une qualité ou d’une caractéristique de l’objet désigné, ici la férocité du loup.
Ill. de Grandville pour "Le Loup et l'agneau".

vendredi 30 septembre 2022

Les figures d'opposition


I. L’antithèse
L’antithèse consiste généralement à faire coexister deux termes opposés au sein d’un même énoncé. Aristote fait remarquer que l’antithèse est une figure de rhétorique fondée sur la répétition, répétition de mots, de syllabes ou de rythmes.
Le célèbre décasyllabe de Louise Labé illustre parfaitement la conception aristotélicienne :
Je vis, je meurs, je me brûle et me noie
Louise Labé, « Sonnet VII », Sonnets.
Les verbes sont antithétiques, par leur sens (vivre mourir), par l’élément auquel ils se réfèrent (le feu et l’eau).
L’antithèse peut aussi expliciter le doute, comme dans ces vers où Verlaine évoque cette « femme inconnue » qui apparaît dans ses rêves
Et qui n’est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m’aime et me comprend.
Verlaine, « Mon rêve familier », Poèmes saturniens.
Les vers développent une antithèse du même et de l’autre dans un processus de modalisation (« ni tout à
fait ») qui traduit l’incertitude du rêveur quant à l’identité de la femme.
L’antithèse peut avoir pour fonction de créer un effet contrasté, au sein d’un tableau, par exemple :
Les étoiles, points d'or, percent les branches noires;
Hugo, « A la fenêtre, pendant la nuit », Les Contemplations.
Elle instaure alors une esthétique du contrate, primordiale pour les romantiques qui affirmaient la nécessité du contrepoint pour rendre compte des antinomies de la vie.

II. L’expression du paradoxe

Définition : Le paradoxe se définit communément comme une opinion contraire à l’opinion commune. Plus souvent, le paradoxe se présentera sous la forme d’une transgression qui contredit les lois de l’univers ou de la morale. Le paradoxe est la figure de l’impossible rendu possible. Il peut prendre l’aspect de l’oxymore ou s’exprimer plus directement par le biais d’énoncés qui suscitent l’étonnement.

A. L’Oxymore
L’oxymore est typiquement une figure de style qui relève de cette logique du paradoxe puisqu’elle unit dans un même syntagme nominal ou, dans une relation sujet / attribut du sujet, un substantif à une expansion qui le contredit :
Je sais que c'est la coutume
D'adorer ces nains géants
Qui, parce qu'ils sont écume,
Se supposent océans;
Victor Hugo, « II, XVIII », Les Contemplations.
Les « nains géants » de Victor Hugo » sont les « César », « Pompée », chefs de guerre qui tirent leur gloire de hauts faits guerriers et que le poète s’apprête à comparer au « Dieu des petits oiseaux ». L’oxymore a pour fonction de relativiser cette gloire dont ils se targuent. Elle participe, à ce titre, d’une stratégie argumentative de la dévalorisation.
Plus troublante et plus poétique, sera l’utilisation qu’en fait Baudelaire dans l’« Invitation au voyage » :
Les soleils mouillés
De ces ciels brouillés
Pour mon esprit ont les charmes
Si mystérieux
De tes traîtres yeux,
Brillant à travers leurs larmes.
Baudelaire, « L’Invitation au voyage », Les Fleurs du Mal,
L’oxymore « soleils mouillés » vient, en comparant des « traîtres yeux », exprimer l’ambivalence de la femme baudelairienne, à la fois lumineuse et chargée de mystères, guide spirituel et possible agent de perdition.

B. Le Paradoxe
Le paradoxe prend généralement le contre-pied de l’opinion commune, comme dans ces vers extraits des Fleurs du Mal :
Dans les plis sinueux des vieilles capitales,
Où tout, même l’horreur, tourne aux enchantements,
Baudelaire, « Les petites vieilles », Les Fleurs du Mal.
Baudelaire s’en sert fréquemment pour affirmer la morale décalée du dandy qui délibérément cherche à rompre avec le commun des mortels.
Le paradoxe peut aussi s’affirmer dans la contradiction d’une loi physique ou naturelle :
L’opium agrandit ce qui n’a pas de bornes,
Allonge l’illimité,
Baudelaire, « Le Poison », Les Fleurs du Mal.
Le paradoxe met ici en avant le singulier pouvoir de l’opium, susceptible d’agrandir l’infini, et suggère les dangers d’un « poison » qui conduit son utilisateur à transgresser en esprit les lois de la nature.

III. L’antiphrase

L’antiphrase est un paradoxe du discours, elle consiste à faire comprendre le contraire de ce que l’on signifie. Baudelaire (encore lui), démontre les mécanismes de l’antiphrase dans cette réflexion, extraite du Spleen de Paris ; après avoir évoqué un ours blanc qui se dandine derrière les barreaux de sa cage, il écrit :
« Ce monstre est un de ces animaux qu’on appelle généralement « Mon ange ! », c’est à dire une femme… »
Baudelaire, « La femme sauvage et la petite maîtresse », Le spleen de Paris.
Le discours attribue malicieusement ou inconsciemment l’expression « Mon ange », à un être considéré comme monstrueux, ce qui relève clairement de l’antiphrase. L’antiphrase est la figure privilégiée du discours
ironique et suppose une complicité entre l’émetteur et le destinataire qui a charge de reconstituer le sens véritable.
Il est à noter que, dans le texte de Baudelaire, l’ironie fonctionne sur deux niveaux puisqu’elle concerne aussi l’émetteur de l’expression « Mon ange », fustigé pour sa mauvaise foi. Le texte poursuit d’ailleurs ainsi :
L’autre monstre, un bâton à la main est un mari. Il a enchaîné sa femme légitime comme une bête, et il la montre dans les faubourgs, les jours de foire…
Baudelaire, « La femme sauvage et la petite maîtresse », Le Spleen de Paris.
Un autre exemple d’antiphrase nous sera donné avec cette fable de Florian, qui montre combien le procédé dépend du contexte énonciatif. Florian décrit une jeune coquette Chloé, aux prises avec une abeille :
« Au secours ! Au secours ! crie aussitôt la dame :
Venez, Lise, Marton, accourez promptement ;
Chassez ce monstre ailé. » Le monstre insolemment
Aux lèvres de Chloé se pose."
Florian, « La Coquette et l’abeille », Fables.
Lorsque Chloé traite l’abeille de « monstre ailé », nulle plaisanterie, l’expression peut, à la rigueur, témoigner de la frayeur éprouvée par la jeune femme. Mais lorsque le fabuliste, reprend l’expression « Le monstre », il opère un clin d’œil à destination du lecteur. L’animal est inoffensif ou presque, la frayeur de la coquette un trait de son caractère excessif.

jeudi 22 mars 2012

Qu'est-ce qu'un récit ?

Quelle différence y a-t-il entre les genres du roman et du récit. Michel Raimond dans un essai intitulé Le Roman depuis la révolution (1) cite une définition de Jean-José Marchand, elle même inspirée d'une réflexion d'André Gide :

« un récit reproduit des événements conformément aux lois de l'exposition, un roman nous montre ces événements dans leur ordre propre. Nous pouvons, aidés par cette formule, distinguer à grands traits le roman pur du récit pur; le romana lieu, le récit a eu lieu; le roman nous livre peu à peu un caractère, le récit l'explique; le roman regarde naître les événements, le récit les fait connaître; le roman est constitué par des suites vivantes, le récit par des causales; le roman se déroule au présent, le récit éclaire le passé. La première conséquence de ces observations est que le récit, quand ses héros sont des hommes, étudie de préférence une crise (qu'il explique), tandis que le roman n'a pas de sujet nécessaire, mais ses héros sont toujours des hommes. Gide a parfaitement raison, selon Sartre, de remarquer que le roman est « un surgissement perpétuel; chaque nouveau chapitre doit poser un nouveau problème, être une ouverture, une direction, une impulsion, une jetée en avant de l'esprit du lecteur ».

M. Raimond, Le Roman depuis la révolution, coll. U, Armand Colin, 

mardi 8 février 2011

Le haïku

1. Définition Le haïku (on dit aussi "haïkaï") est un poème à forme fixe d’origine japonaise. Il se compose de trois vers qui font respectivement cinq, sept et cinq syllabes.

2. Le haïku japonais Né aux environs du Xe siècle le haïku fut longtemps une sorte de jeu, un poème destiné à attirer l’attention par un trait d’humour, l’évocation d’un détail insolite. Au XVIIe siècle, le moine Matsuo Munefusa plus connu sous le nom de Bashô s’appuie sur la tradition du bouddhisme zen pour faire du haïku un exercice spirituel. Le haïku deviendra cette parole qui a pour fonction de rappeler les vertus du silence et la vanité de toute parole. Le haïku se plait à évoquer la nature et, après Bashô, la règle s’établit de signifier par le biais d’un mot ou d’un indice indirect, l’une des quatre saisons.

Ce chemin, Personne ne le prend Que le couchant d’automne.

Bashô, cité par Henri Brunel, Les haïkus, Librio.

Piège à pieuvre Rêves voltigeant Lune d’été

Bashô, in Fourmis sans ombre, le livre du haïku, Phébus.

« Les Japonais apportent, disait Paul Claudel, dans la poésie comme dans l’art une idée très différente de la notre. La nôtre est de tout dire, tout exprimer […] Au Japon, au contraire, sur la page écrite ou dessinée la part la plus importante est toujours laissée au silence » et de fait le haïku apparaît bien comme une césure dans le silence de la page blanche.

3. Le Haïku en France

Le premier recueil de haïkus français, Au fil de l’eau, est réalisé par Paul-Louis Couchoud de retour d’un voyage au Japon et deux de ses amis Albert Poncin et André faure. Mûri au cours d’un voyage en péniche effectué par les trois amis, le recueil circule, sans nom d'auteur dans le Paris de 1905 qui a déjà succombé à la mode des japonaiseries.

Le vieux canal Sous l’ombre monotone S’est vert-de-grisé

Au fil de l’eau, Mille et une nuits.

Le pasteur A pris pour bonne Une jolie catholique

Au fil de l’eau, Mille et une nuits.

En 1920 la NRF publie une anthologie du haïku, dans laquelle figurent des poèmes d’Eluard, Caillois…« Onze haïkaï » de Paul Eluard.

Une plume donne au chapeau Un air de légèreté La cheminée fume

Eluard, « 11 », Pour vivre ici, onze haïkaï.

Claudel, ancien ambassadeur au Japon, publie ses réflexions sur la culture japonaise dans L’Oiseau noir dans le soleil levant (1929) mais c’est avec Cent phrases pour un éventail qu’il s’exerce à l’art du haïku et rend hommage au Japon en plaçant son texte en regard d’idéogrammes composés par des artistes japonais. C’est à partir des années soixante-dix que le haïku suscite en France un regain d’intérêt. Si les contraintes formelles initiales sont rarement respectées, la concision de l’expression, une certaine dimension intemporelle, une interpellation ontologique demeurent.

Eugène Guillevic (1907-1997) réfractaire à l’image utilise volontiers une forme condensée du haïku pour interroger les mystères de la nature :

L'eau Dans l'étang Est occupée À garder le temps.

Guillevic, Sphères.

Dans le Chemin de halage, Le loup et la lune, Yvon Le Men (né en 1953) renoue avec l’essence du haïku et s’il ne cherche pas à en restituer la forme absolument, il en saisit l’esprit :

Feuille de lierre dans le courant sait-elle où elle va ? Yvon Le Men, Le chemin de halage.

la nuit ne tombe pas elle descend dans le jour Yvon Le Men, Le loup et la lune.

L’anthologie récente de Jean Antonnini, les nombreuses associations de poètes amateurs présentes sur le web traduisent l’engouement grandissant pour un genre.

Pour un premier compte rendu de lecture en première

Parcours « Marginalité, plaisir du romanesque » (Roman)  Claire de Duras , Ourika *, « Classiques et cie », Hatier ; Victor Hugo, Notre Dam...