vendredi 30 septembre 2022

Les figures d'opposition


I. L’antithèse
L’antithèse consiste généralement à faire coexister deux termes opposés au sein d’un même énoncé. Aristote fait remarquer que l’antithèse est une figure de rhétorique fondée sur la répétition, répétition de mots, de syllabes ou de rythmes.
Le célèbre décasyllabe de Louise Labé illustre parfaitement la conception aristotélicienne :
Je vis, je meurs, je me brûle et me noie
Louise Labé, « Sonnet VII », Sonnets.
Les verbes sont antithétiques, par leur sens (vivre mourir), par l’élément auquel ils se réfèrent (le feu et l’eau).
L’antithèse peut aussi expliciter le doute, comme dans ces vers où Verlaine évoque cette « femme inconnue » qui apparaît dans ses rêves
Et qui n’est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m’aime et me comprend.
Verlaine, « Mon rêve familier », Poèmes saturniens.
Les vers développent une antithèse du même et de l’autre dans un processus de modalisation (« ni tout à
fait ») qui traduit l’incertitude du rêveur quant à l’identité de la femme.
L’antithèse peut avoir pour fonction de créer un effet contrasté, au sein d’un tableau, par exemple :
Les étoiles, points d'or, percent les branches noires;
Hugo, « A la fenêtre, pendant la nuit », Les Contemplations.
Elle instaure alors une esthétique du contrate, primordiale pour les romantiques qui affirmaient la nécessité du contrepoint pour rendre compte des antinomies de la vie.

II. L’expression du paradoxe

Définition : Le paradoxe se définit communément comme une opinion contraire à l’opinion commune. Plus souvent, le paradoxe se présentera sous la forme d’une transgression qui contredit les lois de l’univers ou de la morale. Le paradoxe est la figure de l’impossible rendu possible. Il peut prendre l’aspect de l’oxymore ou s’exprimer plus directement par le biais d’énoncés qui suscitent l’étonnement.

A. L’Oxymore
L’oxymore est typiquement une figure de style qui relève de cette logique du paradoxe puisqu’elle unit dans un même syntagme nominal ou, dans une relation sujet / attribut du sujet, un substantif à une expansion qui le contredit :
Je sais que c'est la coutume
D'adorer ces nains géants
Qui, parce qu'ils sont écume,
Se supposent océans;
Victor Hugo, « II, XVIII », Les Contemplations.
Les « nains géants » de Victor Hugo » sont les « César », « Pompée », chefs de guerre qui tirent leur gloire de hauts faits guerriers et que le poète s’apprête à comparer au « Dieu des petits oiseaux ». L’oxymore a pour fonction de relativiser cette gloire dont ils se targuent. Elle participe, à ce titre, d’une stratégie argumentative de la dévalorisation.
Plus troublante et plus poétique, sera l’utilisation qu’en fait Baudelaire dans l’« Invitation au voyage » :
Les soleils mouillés
De ces ciels brouillés
Pour mon esprit ont les charmes
Si mystérieux
De tes traîtres yeux,
Brillant à travers leurs larmes.
Baudelaire, « L’Invitation au voyage », Les Fleurs du Mal,
L’oxymore « soleils mouillés » vient, en comparant des « traîtres yeux », exprimer l’ambivalence de la femme baudelairienne, à la fois lumineuse et chargée de mystères, guide spirituel et possible agent de perdition.

B. Le Paradoxe
Le paradoxe prend généralement le contre-pied de l’opinion commune, comme dans ces vers extraits des Fleurs du Mal :
Dans les plis sinueux des vieilles capitales,
Où tout, même l’horreur, tourne aux enchantements,
Baudelaire, « Les petites vieilles », Les Fleurs du Mal.
Baudelaire s’en sert fréquemment pour affirmer la morale décalée du dandy qui délibérément cherche à rompre avec le commun des mortels.
Le paradoxe peut aussi s’affirmer dans la contradiction d’une loi physique ou naturelle :
L’opium agrandit ce qui n’a pas de bornes,
Allonge l’illimité,
Baudelaire, « Le Poison », Les Fleurs du Mal.
Le paradoxe met ici en avant le singulier pouvoir de l’opium, susceptible d’agrandir l’infini, et suggère les dangers d’un « poison » qui conduit son utilisateur à transgresser en esprit les lois de la nature.

III. L’antiphrase

L’antiphrase est un paradoxe du discours, elle consiste à faire comprendre le contraire de ce que l’on signifie. Baudelaire (encore lui), démontre les mécanismes de l’antiphrase dans cette réflexion, extraite du Spleen de Paris ; après avoir évoqué un ours blanc qui se dandine derrière les barreaux de sa cage, il écrit :
« Ce monstre est un de ces animaux qu’on appelle généralement « Mon ange ! », c’est à dire une femme… »
Baudelaire, « La femme sauvage et la petite maîtresse », Le spleen de Paris.
Le discours attribue malicieusement ou inconsciemment l’expression « Mon ange », à un être considéré comme monstrueux, ce qui relève clairement de l’antiphrase. L’antiphrase est la figure privilégiée du discours
ironique et suppose une complicité entre l’émetteur et le destinataire qui a charge de reconstituer le sens véritable.
Il est à noter que, dans le texte de Baudelaire, l’ironie fonctionne sur deux niveaux puisqu’elle concerne aussi l’émetteur de l’expression « Mon ange », fustigé pour sa mauvaise foi. Le texte poursuit d’ailleurs ainsi :
L’autre monstre, un bâton à la main est un mari. Il a enchaîné sa femme légitime comme une bête, et il la montre dans les faubourgs, les jours de foire…
Baudelaire, « La femme sauvage et la petite maîtresse », Le Spleen de Paris.
Un autre exemple d’antiphrase nous sera donné avec cette fable de Florian, qui montre combien le procédé dépend du contexte énonciatif. Florian décrit une jeune coquette Chloé, aux prises avec une abeille :
« Au secours ! Au secours ! crie aussitôt la dame :
Venez, Lise, Marton, accourez promptement ;
Chassez ce monstre ailé. » Le monstre insolemment
Aux lèvres de Chloé se pose."
Florian, « La Coquette et l’abeille », Fables.
Lorsque Chloé traite l’abeille de « monstre ailé », nulle plaisanterie, l’expression peut, à la rigueur, témoigner de la frayeur éprouvée par la jeune femme. Mais lorsque le fabuliste, reprend l’expression « Le monstre », il opère un clin d’œil à destination du lecteur. L’animal est inoffensif ou presque, la frayeur de la coquette un trait de son caractère excessif.

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