vendredi 25 février 2011

Le genre du proverbe


Le proverbe dramatique est généralement considéré comme un genre mineur. Il est hérité d'un divertissement mondain qu’on pratiquait dans les salons précieux du XVIIe, siècle : on s'amusait alors à jouer des saynètes, souvent improvisées, qui devait illustrer un proverbe. Les invités devaient alors deviner le proverbe ainsi illustré.
Au XVIIIe siècle, alors que les salons prennent de plus en plus d’importance grandissante dans la vie sociale et intellectuelle, le proverbe dramatique se développe et devient à la mode : un chansonnier, Charles Collé, présente son Théâtre privé, rempli d'allusions à l'actualité, au duc d'Orléans et à son entourage. C'est surtout Carmontelle (1717-1806) qui va faire de ce jeu un genre littéraire. Ordonnateur (organisateur) des fêtes de la cour du même duc d'Orléans, ami du grand-père de Musset, Carmontelle publie huit volumes de proverbes. Avec des scènes divertissantes, quotidiennes, souvent satiriques, ses proverbes sont aussi une représentation de la société et des mœurs contemporaines.
Abandonné durant la Révolution et l'Empire, le genre du proverbe réapparaît sous la Restauration. On joue les proverbes de Carmontelle sur les scènes des théâtres de boulevard. De nouveaux auteurs (Sauvage, Romieu, Scribe) s’imposent. Théodore Leclerc rencontre un véritable succès quand il donne à ses proverbes une dimension satirique contre les Ultras et le cléricalisme.
Ces dimensions satiriques et même philosophiques vont être accentuées dans le proverbe d'Alfred de Vigny, Quitte pour la peur, représenté à l'Opéra en 1833. Le genre du proverbe dramatique se transforme, le proverbe ne fait plus l'objet d'une devinette illustrée par l'action, mais figure souvent dans le titre même (On attrape plus de mouches avec du miel qu'avec du vinaigre, ou Qui a bu boira, dudit Leclercq ) et presque toujours à la fin de la pièce.
Comme il est habitué depuis l'enfance à entendre et voir jouer les proverbes de Carmontelle, Musset apprécie ce divertissement raffiné. Il a déjà eu recours à des expressions proverbiales pour intituler ses textes dramatiques (Les Marrons du feu, publié en 1829, La Coupe et les lèvres, en 1832), mais, en 1834, on peut aussi supposer qu'il cherche à profiter d'un effet de mode en donnant le sous-titre de « proverbe » sa pièce : On ne badine pas avec l'amour.
Ce titre et le développement moral qu'il annonce sont conformes aux règles traditionnelles du genre. Mais par sa longueur, la multiplication des décors, la complexité de l'intrigue et des personnages, le mélange des tons et le dénouement tragique, la pièce de Musset dépasse de loin le cadre et les ambitions du proverbe.
Plus tard, avec Il ne faut jurer de rien (1836), Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée (1845), On ne saurait penser à tout (1849) et Un caprice (1837), Musset réutilise le genre du proverbe mais ces pièces ne tournent cependant plus à la tragédie. C'est avec Musset que le proverbe dramatique atteint son sommet ; par la suite, il sera délaissé, et disparait de la scène, de façon définitive.

d'après un article de la revue NRP, dossier "Musset, le désenchanté", mars 2001.

Ill. :

On ne badine pas avec l’amour, d’Alfred de Musset ; mise en scène de Philippe Faure. Théâtre de la Tempête, Paris, 2008.

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