I. « Esprit nouveau » et Futurisme
Dans la lignée des Futuristes italiens, les poètes du début
du siècle cherchent à renouveler la poésie. «… le monde s’est enrichi d’une
beauté nouvelle, écrivait Marinetti en 1909 : la beauté de la
vitesse. ». Les futuristes célèbrent le monde moderne tout en réclamant la
destruction des valeurs traditionnelles.
L’esprit
nouveau se voudra moins radical, si le monde moderne inspire Apollinaire, il ne
remet pas en cause les poètes qui l'ont précédé (romantiques et symbolistes). Dans l’œuvre d’Apollinaire, tradition et modernité se croisent. L’un des poèmes les plus emblématiques de
l’Esprit nouveau, « Zone » commence par ce vers « Tu es las à la
fin de monde ancien », qui tout en rejetant la tradition, lui accorde une
certaine reconnaissance puisqu’il se donne à lire comme un alexandrin.
Blaise Cendrars et son automobile |
II Les caractéristiques de l’ « Esprit nouveau »
A. La célébration du monde moderne
Alors que les Symbolistes recherchaient les signes d’un
autre monde, les poètes de l’esprit
nouveau sont fascinés par ce monde et les possibilités techniques qu’offre la
civilisation industrielle. Les progrès techniques ont facilité les voyages : Apollinaire, Cendrars, Jacob, célèbrent un monde cosmopolite et urbain.
« Les villes répondaient maintenant par
centaine », c'est ainsi qu'Apollinaire clôt son recueil, Alcools,
signifiant par là que le monde moderne est entré dans l’ère des grandes cités
urbaines et de la communication.
La publicité devient source d’inspiration (notamment chez
Cendrars) et les objets nés du progrès technique, le train, le tramway,
l’avion, sont désormais jugés dignes de nourrir l’inspiration poétique. Symbole
de ce modernisme triomphant, la Tour Eiffel sera chantée aussi bien par
Cendrars dans les Dix-neuf poèmes élastiques que par Apollinaire dans
« Zone ».
B. La fantaisie
Ce goût de la fantaisie constitue également l’un des points
de ralliement des poètes de l’EspritConférence sur l’esprit nouveau de 1917.
nouveau « la surprise, l’inattendu,
est un des principaux ressorts de la poésie d’aujourd’hui », affirme
Apollinaire dans sa
Apollinaire par Metzinger, 1910. |
Les images peuvent devenir triviales :
Mamelon
gauche semblable à une bosse du front d’un petit veau qui vient de naître je
t’aime
Apollinaire, « Mon très cher petit Lou, je
t’aime », Poèmes à Lou.
Jeux de mots et calembours s’invitent en poésie :
Gens de Saumur ! gens de Saumur
Oh ! laissez-moi dans ma saumure
Max Jacob, « Le Saltimbanque en wagon de 3e
classe », Les pénitents en maillots roses.
Ainsi s’écrie le voyageur de Max Jacob en proie aux rêveries
que lui inspire son voyage en train, opposant son désir d’ailleurs au
présupposé prosaïsme des gens de Saumur.
C. Figures de l’errance
La figure du poète voyageur, errant à travers le monde
caractérise le lyrisme de ce XXe siècle naissant. A l’image du monde
en mutation, le poète se prend au jeu du mouvement. Il est ce saltimbanque dont
la figure hante les poèmes d’Alcools, il est l’émigrant ou ce voyageur
inlassable
qui arpente le monde pour en dire la beauté et, vainement, s’épuiser
à son contact :
Le Kremlin |
J’étais à 16 000 lieues du lieu de ma
naissance
J’étais à Moscou, dans la ville des mille et trois clochers et des sept gares
Et je n’avais pas assez des sept gares et des mille et trois tours
Car mon adolescence était si ardente et si folle
Que mon cœur, tour à tour, brûlait comme le temple d’Ephèse ou comme la Place Rouge de Moscou
Quand le soleil se couche.
Et mes yeux éclairaient des voies anciennes.
J’étais à Moscou, dans la ville des mille et trois clochers et des sept gares
Et je n’avais pas assez des sept gares et des mille et trois tours
Car mon adolescence était si ardente et si folle
Que mon cœur, tour à tour, brûlait comme le temple d’Ephèse ou comme la Place Rouge de Moscou
Quand le soleil se couche.
Et mes yeux éclairaient des voies anciennes.
Blaise Cendrars, La prose du transsibérien et de la
petite Jehanne de France.
Les « voies anciennes » définissent aussi bien les
chemins de traverse géographiques que les voies de la poésie. Et le poète aura
la faculté de se déplacer autant dans l’espace que dans l’histoire ou la
conscience d’autrui. Sa mobilité se veut infini : « On peut être
aventureux dans tous les domaines, écrit Apollinaire, toujours dans sa Conférence
sur l’esprit nouveau : il suffit que l’on soit aventureux et que l’on
aille à la découverte. » et le poète de plébisciter l’imagination qui
autorise tous les voyages.
D'après, Poésie, rhétorique, registres et courants littéraires, Ellipses, 2009.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire