dimanche 7 mars 2010

La poésie lyrique

I. Définition
Le lyrisme est habituellement défini comme l’expression du sentiment personnel, de l’émotion. Le terme vient du mot « lyre », instrument dont se servait l’aède (poète chanteur de l’antiquité), pour accompagner son chant.

II. L’expression du sentiment personnel

A. Un sentiment personnel ?
La poésie lyrique, si elle est, expression du sentiment personnel, met en place un "je", émetteur, éventuellement un "tu" destinataire et l’expression de sentiments qui se donnent à lire comme fruit de l’expérience affective.
Mais, « je » renvoie-t-il nécessairement au poète ? Le cas des poèmes de « Sur la mort de Marie » offre un exemple intéressant, prenons les tercets d’un sonnet bien connu :

Ainsi en ta première et jeune nouveauté,
Quand la Terre et le Ciel honoraient ta beauté,
La Parque t'a tuée, et cendre tu reposes.

Pour obsèques reçois mes larmes et mes pleurs,
Ce vase pleine de lait, ce panier plein de fleurs,
Afin que vif et mort ton corps ne soit que roses.

Ronsard, « Comme on voit sur la branche… », Second livre des Amours.

La première strophe fait ressortir l’injustice de la mort qui emporte Marie, trop jeune. La suivante évoque les sentiments du poète, tristesse et désir de rendre un hommage ultime. Or l’on sait qu’il n’y a rien de personnel en ce poème puisqu’il s’agit d’une œuvre de commande destinée, à la demande du roi Henri III, à célébrer Marie de Clèves. Et pourtant, l’œuvre est lyrique. Certains objecteront que Ronsard y a transposé ses propres affects.
Il importe peu de savoir finalement si le « je » est authentique, si les sentiments exprimés sont réels ou non. Dans son acception traditionnelle, l’œuvre lyrique pose l’expression d’une émotion d’un sentiment auxquels le lecteur peut confronter sa propre expérience humaine.

B. La gamme des sentiments
S’il est impossible de recenser tous les thèmes lyriques, il est aisé de constater que la poésie lyrique se nourrit d’un certain nombre de motifs (topos littéraires) : amour, deuil et mélancolie constituent une sorte de gamme des sentiments auxquels la poésie accorde un intérêt particulier, sans doute en raison de leur universalité :
a. L'amour
L’amour est un motif lyrique particulièrement récurrent, son intensité conduit à une expérience de la plénitude qui trouve avec la poésie un mode d’expression idéal :
J’étais à toi peut-être avant de t’avoir vu.
Ma vie, en se formant, fut promise à la tienne ;
Ton nom m’en avertit par un trouble imprévu,
Ton âme s’y cachait pour éveiller la mienne.
Marceline Debordes-Valmore, « Elégie », Elégies et romances.
A l’idéale fusion du « je » et du « tu », s’oppose l’amour vécu en solitaire, feu qui consume sans aboutir à la fusion rêvée :
J'ai tant rêvé de toi, tant marché, parlé,
Couché avec ton fantôme
Qu'il ne me reste plus peut-être,
Et pourtant, qu'a être fantôme
Parmi les fantômes et plus ombre
Cent fois que l'ombre qui se promène

Robert Desnos, « J'ai tant rêvé de toi », Corps et biens.
b. deuil et mélancolie
La perte de l’amour, la perte de l’être cher conduisent au deuil, constat de l’irréparable comme dans, Le temps déborde d’Eluard .
Parce qu’il résulte d’une dépossession soudaine, le deuil est l’une des manifestations de la mélancolie dont l’expression constitue un thème majeur de la poésie lyrique.
Du Bellay, exprime dans les Regrets ce sentiment de malaise diffus lié à la perte, c’est le sentiment de la nostalgie. Chez les romantiques le malaise prend la forme du « Mal du siècle », sentiment de vague mélancolie :
J'ai perdu ma force et ma vie,
Et mes amis et ma gaieté;
J'ai perdu jusqu'à la fierté
Qui faisait croire à mon génie.
Musset, « Tristesse », Poésies nouvelles.

La mélancolie prendra la forme paroxystique du « spleen » chez Baudelaire qui se plait à cultiver les métaphores de l’extrême :
Des cloches tout à coup sautent avec furie
Et lancent vers le ciel un affreux hurlement,
Ainsi que des esprits errants et sans patrie
Qui se mettent à geindre opiniâtrement.

- Et de longs corbillards, sans tambours ni musique,
Défilent lentement dans mon âme ; l'Espoir,
Vaincu, pleure, et l'Angoisse atroce, despotique,
Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.!
Baudelaire, « Spleen », Les Fleurs du Mal.

C. L’expression lyrique
L’écriture lyrique, cherchant à communiquer l’émotion, use de procédés récurrents, dont il est impossible de dresser l’inventaire complet :
La syntaxe lyrique passe souvent par l’utilisation de l’exclamation qu’il s’agisse de célébrer ou de manifester le sentiment dans sa plénitude :
Ô beaux yeux bruns, ô regards détournés
Ô chauds soupirs, ô larmes épandues,
Ô noires nuits vainement attendues
Ô jours luisants vainement retournés !

Louise Labé, « Ô beaux yeux bruns… » Sonnets.
Le lyrisme recourt aussi volontiers aux figures de l’insistance qui permettent de porter l’accent sur l’intensité du sentiment :
Ah comme la neige a neigé !
Ma vitre est un jardin de givre.
Ah comme la neige a neigé !
Qu'est-ce que le spasme de vivre
Ah la douleur que j'ai que j'ai !
Nelligan, « Soir d’hiver », Poésies complètes.
Le pléonasme (« la neige a neigé ») transcrit l’irrémédiable constat, l'hiver est là, porteur de mort.
L’écriture lyrique est donc, à l’image de la vie dont elle traduit la diversité des sentiments, d’une extrême variété.
Ill. Orphée, va chercher Euridyce aux Enfers, Edmund Dulac, 1934.

vendredi 5 mars 2010

La Vie profonde

Nous avons plusieurs fois évoqué Anna de Noailles : voici un superbe poème dont le titre révèle la dimension philosophique. A méditer, par ailleurs : le rôle de l'infinitif dans ce poème. L'infinitif est le mode de l'universel - il permet d'exprimer une expérience que l'émetteur (l'auteur) estime universelle. On l'avait observé avec Florian (Le Voyage), Anna de Noailles le confirme ici.

Être dans la nature ainsi qu'un arbre humain,
Étendre ses désirs comme un profond feuillage,
Et sentir, par la nuit paisible et par l'orage,
La sève universelle affluer dans ses mains !

Vivre, avoir les rayons du soleil sur la face,
Boire le sel ardent des embruns et des pleurs,
Et goûter chaudement la joie et la douleur
Qui font une buée humaine dans l'espace !

Sentir, dans son coeur vif, l'air, le feu et le sang
Tourbillonner ainsi que le vent sur la terre.
- S'élever au réel et pencher au mystère,
Être le jour qui monte et l'ombre qui descend.

Comme du pourpre soir aux couleurs de cerise,
Laisser du coeur vermeil couler la flamme et l'eau,
Et comme l'aube claire appuyée au coteau
Avoir l'âme qui rêve, au bord du monde assise...

A. de Noailles, Le Coeur innombrable, 1901.
Ill. portrait de la comtesse de Noailles par P.A. de Laszlo.

jeudi 4 mars 2010

La vague

"Comment les Allemands ont-ils pu laisser faire ça ?" Telle est la question que pose Amy, bouleversée par un film sur l'holoauste, à son professeur d'histoire de terminale, le charismatique Ben Ross. Le professeur ne sait que répondre et en bon professeur qu'il est, il cherche, une fois rentré chez lui, le moyen de faire comprendre ce qui a pu se passer.
Il revient le lendemain avec une idée : "Supposons que je puisse prouver qu'on peut obtenir le pouvoir par la discipline. Supposons qu'on puisse le faire tout de suite, dans cette classe, qu'en diriez-vus?" Tout élève, c'est bien connu, ne cherche, par nature, qu'à rompre avec le ronron de la routine quotidienne. La proposition est donc unanimement acceptée.
Un slogan ( "La Force par la discipline! La Force par la communauté!"), quelques exercices pratiques simples qui permettent à la classe d'éprouver la force de la communauté, et l'expérience est lancée, un mouvement vient de naître au lycée, La Vague.
"- Hé, arrêtez de vous marrer, intervint David. C'était vraiment spécial. Comme si, pendant qu'on agissait tous ensemble, on était bien plus qu'une simple classe. Comme si on ne faisait plus qu'un. Vous vous rappelez ce qu'à dit Ross sur le pouvoir? Je crois qu'il avait raison? Vous avez senti?"La vague est lancé, véritable lame de fond, elle se met à enfler, et pourrait bien engloutir et le lycée et son initiateur. La Vague de Todd Strasser est un roman terrifiant qui démontre de façon simple et efficace comment l'homme peu trouver reposant le fait de se laisser déposséder de sa liberté. L'histoire est basée sur un fait divers qui eut réellement lieu dans l'Amérique de la fin des années soixante.
Un petit livre essentiel pour qui veut comprendre le programme d"histoire de troisième mais aussi bien des horreurs du comportement humain. A noter que le personnage de Laurie, résistante et lucide apporte, dans ce sombre tableau, une touche d'espérance non négligeable.

Les réfrences du livre : Todd Strasser, La Vague, Pocket, 2009. Récemment acquis par le CDI.
Le site de l'auteur qui est aussi le créateur de la série "Piégé dans ..." :
http://www.toddstrasser.com/

Niveau : 3e

dimanche 28 février 2010

Du bon usage du correcteur orthographique

Faisons un petit test : Vous sélectionnez, copiez puis collez le petit extrait d'Harry Potter ci-dessous, sur un document OpenOffice. Le texte contient vingt-huit fautes qu'à une première lecture le logiciel de correction ne corrige pas. Si vous demandez une correction orthographique, le logiciel repère certaines fautes mais ne vous propose pas nécessairement la bonne correction en premier choix.
Moralité : il vaut mieux faire confiance à ses propres capacités qu'au correcteur d'un logiciel de traitement de texte.


Le basilic avançais ver Harry, il entendait sont corp pesant rampé sur le sol poussiéreus. Les popières toujours fermés. Harry couru à l'aveuglète en suivant le mur, tes mains tendus devant lui. Jedusor éclatat de rire. Harry trébuchat. Il tombat brutalement sur le sol de pierre et sentit le goût du sans. Le serpent n'étez qu'à quelques mètres de lui, il l'entendait approché.
Il y eu alors un siflement sonore au-dessus de sa tête, comme si le serpent s'étais mis à craché, puis quelques chose de lour le frappa en le projettant brutalement contre le mur. Il s'attendez à sentir les crochès du reptile s'enfoncé dans son corp, mais il entendit d'autres sifflements furieus et des mouvements frénétics entre les pilliers.
J.K. Rowling, La Chambre des secrets, Folio-junior.

Les correcteurs s'améliorent, word 2010, propose désormais immédiatement la correction idoine pour les mots en rouge. Mais, regardez bien, il reste un nombre de fautes assez conséquent : (mars 2012)

Le basilic avançais ver Harry, il entendait sont corp pesant rampé sur le sol poussiéreus. Les popières toujours fermés. Harry couru à l'aveuglète en suivant le mur, tes mains tendus devant lui. Jedusor éclatat de rire. Harry trébuchat. Il tombat brutalement sur le sol de pierre et sentit le goût du sans. Le serpent n'étez qu'à quelques mètres de lui, il l'entendait approché.
Il y eu alors un siflement sonore au-dessus de sa tête, comme si le serpent s'étais mis à craché, puis quelques chose de lour le frappa en le projettant brutalement contre le mur. Il s'attendez à sentir les crochès du reptile s'enfoncé dans son corp, mais il entendit d'autres sifflements furieus et des mouvements frénétics entre les pilliers.
J.KRowlingLa Chambre des secretsFolio-junior

samedi 27 février 2010

L'étrange secret de St Austell

Un autre échange de lettres intéressant, les auteurs ont choisi la veine fantastique et le résultat est plutôt convaincant :



St Austell, le 23 mai 1921


Mon cher Grand-père,

Comme vous le savez déjà, nous venons d’emménager dans notre nouvelle maison de St Austell. Papa et maman s’en réjouissent car la maison est très grande, spacieuse et le jardin est bien entretenu. Mais moi elle m’effraie un peu. Déjà le ciel me fait peur ; à St Austell il ne fait jamais beau, le temps est toujours gris ce qui y donne une atmosphère très lugubre. Il y a aussi cette pièce, ce grenier qui est toujours fermé à clef car l’ancien propriétaire avez déconseillé à mes parents d’y entrer en disant que le parquet risquerait de s’effondrer. La nuit, ce parquet fait du bruit, il grince, et même si on tend bien l’oreille on y entend des bruits de pas. Mais ce qui m’effraie le plus, c’est cette pierre, cette tombe tout au fond du jardin, dissimulée par des ronces où l’on peut y lire clairement « Jonh Colton » gravé dans la pierre .
Grand-Père je sais que vous devez vous dire que je suis trop superstitieuse mais croyez-moi cette maison n’a rien d’anodine.

Votre bien aimée petite fille
Amely


Londres, le 15 Août 1921


Ma très chère Amely,

Comme je te l’ai toujours dit, je ne suis pas favorable à cet emménagement. Mais là n’est pas le problème. Je ne pense pas qu’il faille s’inquiéter, les bruits de pas que tu entends ne doivent être que les pas d’un chat ou même d’une souris. Pour la tombe ne craint rien ; au fil du temps les ronces ont dût s’y installer. Il faudra juste demander à votre jardinier de la nettoyer et tu n’auras plus jamais peur d’elles.
Je te remercie de m’avoir parlé de tes craintes.

Affectueusement,
Ton grand-Père.


St Austell, le 5 janvier 1922
Grand-Père j’ai peur !

Vous m’aviez rassuré et je vous remercie car mes craintes c’étaient un peu apaisées. Mais j’ai encore entendu ces bruits de pas dans le grenier. Alors la nuit de la St Sylvestre, pendant que papa et maman discutaient avec leurs amis, j’ai pris la clé qui ouvre le vieux grenier. Et lorsque j’ai poussé la porte, je n’ai vu d’abord que des meubles recouverts de vieux draps blancs. Puis un vase intacte, sans aucune poussière. Et soudain, j’ai senti une présence. Tout à coup, j’ai entendu le vase tombé. Alors j’ai claqué la porte et je l’ai bien refermé pour ne pas laisser d’espace ; j’ai eu peur de ce qui aurait pu en sortir.
Mais ce n’est pas tout, j’ai suivi vos conseils en arrachant les ronces avec l’aide de notre jardinier. La tombe était bien propre. Mais le lendemain, quand je suis allée dans le jardin, les ronces était revenues.
Toutes ces choses sont si étranges.
Je vous envoie mon affection.
Amely


Londres, le 4 février 1922


Amely,

Depuis que j’ai lu ta lettre, je suis partagé entre deux choix. En fin de compte, je me suis décidé pour le deuxième : celui de te dire la vérité.
En fait, le manoir a toujours appartenu à notre famille. J’y suis né et j’y ai vécu pendant toute ma jeunesse. Lorsque j’avais à peu près ton âge, notre jardinier John Colton, est mort de façon très mystérieuse. Nous l’avions découvert mort dans le grenier aménagé où il logeait. Il avait été démembré et gisait sur le sol. Nous l’avons enterré au fond du jardin qu’il aimait tant. Depuis ce jour funeste, des évènements étranges se produisent dans le manoir. Je ne te les raconte pas car ce sont exactement les mêmes phénomènes que ce que tu m’as raconté dans tes lettres. Nous décidâmes de quitter notre maison le jour où notre bonne fut retrouvé morte dans le grenier après l’avoir nettoyé. Le plus étrange, c’est qu’elle est morte exactement comme John, au même endroit, et, portant les mêmes vêtements.
Je te demande ma chère petite- fille, de quitter cet horrible endroit et de ne plus jamais y remettre les pieds !
Prends bien soin de toi.
Ton grand-père chéri.
Plymouth, le 20 mars 1922


C’est bon Grand-Père,

La maison de St Austell n’est plus qu’un lointain souvenir. Nous avons en effet déménagé à Plymouth dans un petit appartement en centre ville.
Il faut dire que les évènements commençaient à prendre une tournure très inquiétante. Comme vous le savez ma petite sœur Daisy est arrivée dans notre famille le 19 février. Daisy est un ange, un magnifique bébé et elle est très malicieuse. Elle a prit place dans mon ancienne chambre et moi je suis allée dans la pièce qui se situe sous le grenier.
Un soir, alors que je lisais tranquillement dans mon lit, j’ai entendu des gouttes tomber sur le sol. J’ai regardé, intriguée, ce qui tombait. Du sang, c’était du sang ! Je me suis mise à crier, au bord de la crise d’hystérie. Papa accouru aussitôt et lui aussi vit le sang. Sans réfléchir, il monta aussitôt au grenier, enfonça la porte et explora la pièce grâce à la lumière de la pleine lune. Incroyable, c’était le vase qui saignait. Un vase qui saigne tout seul !!!
Pris de panique, papa me prit dans ses bras et alla réveiller le reste de la maison. Nous fîmes immédiatement nos bagages pour rejoindre l’hôtel le plus proche. Nous avons peu dormi cette nuit là, terrifiés par ce spectacle.
Dès le lendemain matin, papa et maman ont entrepris le démarches pour trouver un nouveau logement. Leur choix s’est arrêté sur un magnifique appartement dans une résidence du centre ville. La bonne est ravie car c’est moins grand que le manoir et le jardinier a pu se faire embaucher pour entretenir l e parc de notre nouvelle résidence. Il logera avec nous et aidera la bonne pour l’entretien de notre nouveau logis.
Papa a également contacté les autorités de la ville pour faire démolir sans tarder le manoir. Il est temps de mettre fin à cette macabre affaire.
Je suis contente de notre nouvelle vie et j’espère que vous nous ferez le plaisir de nous rendre bientôt une petite visite.
Recevez toute mon affection.

Amely
Aurore et Marie-Astrid, 4e2

Ophélie


John Everett Millais (1829-1896) est un peintre anglais. Il fait partie du mouvement préraphaélite, un groupe de peintres anglais, ainsi nommé parce qu'il veulent retrouver la manière de peindre des peintres de la renaissance italienne, d'avant Raphaël.

Parmi ses oeuvres nombreuses, quelques tableaux exceptionnels dont Ophélie (1852) et Les Feuilles mortes (1856). L'histoire de la création d'Ophélie et de son modèle, Elizabeth Sidal, qui servit de muse aux préraphaélites nous est racontée dans un très beau roman de Philippe Delerm, Autumn - en Folio.

lundi 15 février 2010

Le Corbeau d'Edgar Poë


Once upon a midnight dreary, while I pondered, weak and weary,
Over many a quaint and curious volume of forgotten lore,
While I nodded, nearly napping, suddenly there came a tapping,
As of some one gently rapping, rapping at my chamber door.
"'Tis some visitor", I muttered, "tapping at my chamber door —
Only this, and nothing more." […]

Back into the chamber turning, all my soul within me burning,
Soon again I heard a tapping somewhat louder than before.
"Surely," said I, "surely that is something at my window lattice:
Let me see, then, what thereat is, and this mystery explore —
Let my heart be still a moment and this mystery explore; —
'Tis the wind and nothing more."

Open here I flung the shutter, when, with many a flirt and flutter,
In there stepped a stately raven of the saintly days of yore;
Not the least obeisance made he; not a minute stopped or stayed he;
But, with mien of lord or lady, perched above my chamber door —
Perched upon a bust of Pallas just above my chamber door —
Perched, and sat, and nothing more.

Then this ebony bird beguiling my sad fancy into smiling,
By the grave and stern decorum of the countenance it wore.
"Though thy crest be shorn and shaven, thou," I said, "art sure no craven,
Ghastly grim and ancient raven wandering from the Nightly shore —
Tell me what thy lordly name is on the Night's Plutonian shore!"
Quoth the Raven, "Nevermore."

"Prophet!" said I, "thing of evil! — prophet still, if bird or devil! —
Whether Tempter sent, or whether tempest tossed thee here ashore,
Desolate yet all undaunted, on this desert land enchanted —
On this home by horror haunted — tell me truly, I implore —
Is there — is there balm in Gilead? — tell me — tell me, I implore!"
Quoth the Raven, "Nevermore." […]

"Prophet!" said I, "thing of evil — prophet still, if bird or devil!
By that Heaven that bends above us — by that God we both adore —
Tell this soul with sorrow laden if, within the distant Aidenn,
It shall clasp a sainted maiden whom the angels name Lenore —
Clasp a rare and radiant maiden whom the angels name Lenore."
Quoth the Raven, "Nevermore."

"Be that word our sign in parting, bird or fiend," I shrieked, upstarting —
"Get thee back into the tempest and the Night's Plutonian shore!
Leave no black plume as a token of that lie thy soul hath spoken!
Leave my loneliness unbroken! — quit the bust above my door!
Take thy beak from out my heart, and take thy form from off my door!"
Quoth the Raven, "Nevermore."

And the Raven, never flitting, still is sitting, still is sitting
On the pallid bust of Pallas just above my chamber door;
And his eyes have all the seeming of a demon's that is dreaming,
And the lamplight o'er him streaming throws his shadow on the floor;
And my soul from out that shadow that lies floating on the floor
Shall be lifted — nevermore!


Edgar A. Poe, "The Raven", New York Evening Mirror, 29/01/1945.


Une fois, par un minuit lugubre, tandis que je m’appesantissais, faible et fatigué, sur maint curieux et bizarre volume de savoir oublié, — tandis que je dodelinais la tête, somnolant presque, soudain se fit un heurt, comme de quelqu’un frappant doucement, frappant à la porte de ma chambre, — cela seul et rien de plus. […]

Rentrant dans la chambre, toute mon âme en feu, j’entendis bientôt un heurt en quelque sorte plus fort qu’auparavant. « Sûrement, dis-je, sûrement c’est quelque chose à la persienne de ma fenêtre. Voyons donc ce qu’il y a et explorons ce mystère ; — que mon cœur se calme un moment et explore ce mystère : c’est le vent et rien de plus. »

Au large je poussai le volet, quand, avec maints enjouement et agitation d’ailes, entra un majestueux corbeau des saints jours de jadis. Il ne fit pas la moindre révérence, il ne s’arrêta ni n’hésita un instant : mais, avec une mine de lord ou de lady, se percha au-dessus de la porte de ma chambre, — se percha sur un buste de Pallas, juste au-dessus de la porte de ma chambre — se percha, siégea et rien de plus.

Alors cet oiseau d’ébène induisant ma triste imagination au sourire, par le grave et sévère décorum de la contenance qu’il eut : « Quoique ta crête soit chenue et rase, non ! dis-je, tu n’es pas pour sûr, un poltron, spectral, lugubre et ancien Corbeau, errant loin du rivage de Nuit — dis-moi quel est ton nom seigneurial au rivage plutonien de Nuit. » Le Corbeau dit : « Jamais plus. » […]

« Prophète, dis-je, être de malheur ! prophète, oui, oiseau ou démon ! Que si le Tentateur t’envoya ou la tempête t’échoua vers ces bords, désolé et encore tout indompté, vers cette déserte terre enchantée, — vers ce logis par l’horreur hanté : dis-moi véritablement, je t’implore ! y a-t-il du baume en Judée ? — Dis-moi, je t’implore. » Le Corbeau dit : « Jamais plus ! »


« Prophète, dis-je, être de malheur, prophète, oui, oiseau ou démon ! Par les cieux sur nous épars, — et le Dieu que nous adorons tous deux, — dis à cette âme de chagrin chargée si, dans le distant Éden, elle doit embrasser une jeune fille sanctifiée que les anges nomment Lénore, — embrasser une rare et rayonnante jeune fille que les anges nomment Lénore. » Le Corbeau dit : « Jamais plus ! »


« Que ce mot soit le signal de notre séparation, oiseau ou malin esprit », hurlai-je en me dressant. « Recule en la tempête et le rivage plutonien de Nuit ! Ne laisse pas une plume noire ici comme un gage du mensonge qu’a proféré ton âme. Laisse inviolé mon abandon ! quitte le buste au-dessus de ma porte ! ôte ton bec de mon cœur et jette ta forme loin de ma porte ! » Le Corbeau dit : « Jamais plus ! »


Et le Corbeau, sans voleter, siège encore, — siège encore sur le buste pallide de Pallas, juste au-dessus de la porte de ma chambre, et ses yeux ont toute la semblance des yeux d’un démon qui rêve, et la lumière de la lampe, ruisselant sur lui, projette son ombre à terre : et mon âme, de cette ombre qui gît flottante à terre, ne s’élèvera — jamais plus.


"Le Corbeau", trad. de Stéphane Mallarmé, 1875.


Ill. d'Edouard Manet pour l'édition Richard Lesclide de 1875.

Pour un premier compte rendu de lecture en première

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